Premier roman d’Elif Shafak paru en France, la bâtarde d’Istanbul fut un livre très polémique à sa sortie dans son pays d’origine : La Turquie. Son auteur a même été poursuivie en justice par le gouvernement Turc qui jugeait que l’ouvrage portait atteinte à l’identité Turque et l’humiliait, ce jugement a par la suite été conclu par un non-lieu. Cet ouvrage a rencontré un immense succès à sortie en Turquie, mais aussi dans les pays où il a été traduit par la suite.
Deux familles que tout oppose
La famille Kazanci vit dans la capitale turque depuis des générations et n’est composée que de femmes fortes de caractère. Cette famille un peu particulière est touchée par un mal bien mystérieux : tous les hommes meurent jeunes et dans d’étranges circonstances. C’est pourquoi le dernier homme de la famille ; Mustafa, est parti s’exiler aux Etats-Unis, abandonnant sa famille aimante et se mariant avec une arménienne divorcée d’un premier mariage.
Bien évidemment, ce mariage n’est pas du goût de tous, et la belle famille du jeune homme, des arméniens exilés depuis 1920 voient d’un très mauvais oeil cette union. Mais contre toute attente, les liens entre arméniens et turcs sont peut-être moins violents et plus resserrés que l’on ne le pense, c’est du moins ce qu’illustre ici Elif Shafak par la rencontre de deux jeunes filles que tout oppose et qui vont se découvrir elle-même ainsi que l’histoire de leur peuples.
Un roman joyeux, vif, qui cache aussi beaucoup de mélancolie et de rancoeur
La bâtarde d’Istanbul est un roman vraiment à part, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la découverte de la culture Turque était personnellement une première pour moi, et j’ai pris un grand plaisir à parcourir les rues de cette ville si pleine de vies et de curiosités.
Deuxièmement, la construction des personnages qui constituent les deux familles que tout oppose est magnifique. Car Elif Shafak réussit à nous parler d’une période terrible de l’histoire, le génocide arménien qui a eu lieu en 1915 (ça n’est pas si loin de nous) et à en faire un trait-d’union non pas constitué de haine, mais de blessures qui s’effacent, de bonté, et d’apprivoisement entre deux peuples qui ne pensent avoir rien en commun. La description des personnes qui constituent ces deux familles sont si vivantes et attachantes que l’on croirait en faire un peu partie, et c’est un vrai bonheur de se sentir un peu « de la famille ».
Troisièmement, nous sommes tout de même bien loin du roman plein de bons sentiments, la noirceur tient une grande place dans l’intrigue. Car, bien que l’on sache qui est cette fameuse bâtarde d’Istanbul, sa conception reste toujours un mystère, aussi bien pour le lecteur que pour sa propre famille.
Enfin quatrièmement, l’écriture d’Elif Shafak est tout à fait sublime, tantôt emplie de légèreté, de chaleur, puis soudain de violence et de cruauté pour certaines scènes on se laisse facilement prendre par sa plume. A la fois roman familial, historique, parfois policier et même un peu fantastique (un petit soupçon, bien dissimulé), les genres se croisent sans jamais s’entraver.
En conclusion, ce roman donne réellement envie d’en savoir plus sur ce mystérieux pays qu’est la Turquie. Je ne sais pas si Elif Shafak a tenté de réconcilier deux peuples grâce à son roman, mais en tout cas elle réussit à ne jamais prendre un ton accusateur envers l’un ou l’autre ; exercice pour le moins compliqué sur un sujet historique aussi sensible. Plus qu’un livre donc, c’est un auteur, un pays et une culture à découvrir !