Chronique : Une étincelle de vie

Un extraordinaire roman-chorale sur la société américaine et sa politique sur l’avortement…

Jodi Picoult est une autrice américaine dont l’œuvre est fascinante. Elle a notamment écrit : Mille petits riens (Actes Sud/Babel), Comme un loup solitaire (Michel Lafon), ou encore La tristesse des éléphants (Actes Sud/Babel). Une étincelle de vie est son dernier roman paru en France. Il traite de la difficulté qu’on les femmes à avorter aux États-Unis, plus particulièrement dans le Mississipi, l’état le plus restrictif et conservateur en matière d’avortements…

Une clinique d’avortement comme centre névralgique de l’intrigue

Bienvenue dans l’une des rares cliniques d’avortement au Mississipi (dans le roman il y en a trois, mais en réalité il n’y en a qu’une seule dans cet état), des dizaines de femmes sont dans la salle d’attente pour des motifs tous extrêmement différents. Leur vie va basculer sous la forme d’un homme qui débarque, et les prend en otages. Pourquoi ? Il est question de vengeance, de revanche… mais pourquoi et contre qui exactement ? Ou quoi ?

Parmi les otages, il y a la fille du négociateur de crise de la région, Hugh McElroy, accompagnée par sa tante. Pourquoi est-elle ici ? Sa présence dans la clinique peut-elle être un avantage dans cette terrible situation ? Ce que Hugh ignore encore, c’est qu’il va être l’interlocuteur du preneur d’otages… sans savoir que sa fille est à l’intérieur. Et ce n’est que le début.

Un entrecroisement de destins magistralement construit

Magnifique toile que celle offerte par Jodi Picoult dans ce roman. Tout se croise, se recoupe, trouve sens, peu à peu au fil de l’intrigue. Parfois, les fils tissés entre les personnages sont très légers, mais changent leur destin à jamais. Et quand on remarque enfin le lien ténu entre eux, on ne peux que saluer le génie de Jodi Picoult pour la construction de son histoire…

Parmi les nombreux personnages majoritairement féminins, forcément étant donné le lieu de cette histoire, il y a donc Wren, fille du négociateur, ainsi que sa tante. Mais également Joy, une patiente au passé terrible mais qui fait tout pour s’en sortir.

Il y a également Janine, une pro-vie (mais que fait-elle ici ?), c’est très intéressant que Jodi Picoult ait introduit un personnage aussi complexe (et détestable au premier abord) à l’intérieur de cette terrible prise d’otages.

Il y a également Izzi, infirmière à la clinique, son histoire est également difficile mais fascinante…

Il y a aussi Beth, à l’histoire atroce et à laquelle on ne peut que compatir… c’est dur, injuste et terrible, le procureur veut se servir de son cas particulier (mais malheureusement pas isolé) comme d’un exemple.

Enfin, n’oublions pas Olive, une femme âgée qui était aussi dans la clinique au moment de la prise d’otages…

Et le médecin ! Un homme noir qui pratique des avortements au Mississippi c’est aussi suicidaire qu’extrêmement courageux. Son histoire à lui également n’est pas facile et explique pourquoi il est là aujourd’hui. Il est obligé de prendre l’avion pour exercer dans cette clinique car très peu de médecins acceptent de pratiquer des avortement, cela est encore plus vrai dans le Mississippi…

« Janine connaît un tas d’informations de ce genre. Elle sait aussi comment les différentes cultures et religions considèrent les êtres vivants. La catholiques croient que la vie apparaît dès la conception. Chez les musulmans, il faut attendre quarante-deux jours à partir de la conception pour qu’Allah envoie un ange qui transforme l’ovule et le sperme en être vivant. Selon Thomas d’Aquin, l’avortement est un homicide au bout de quarante jours pour un embryon mâle et quatre-vingt jours pour un embryon femelle […]« .

Au travers de ce roman-choral, c’est toute l’histoire actuelle des États-Unis qui nous est dépeinte à travers le prisme de l’avortement. Il a beau être légal, tout est fait pour l’empêcher… ou le retarder jusqu’aux 15 semaines fatidiques l’interdisant (dans le reste des USA l’avortement est encore légal entre 22 et 24 semaines).

Les femmes qui doivent avorter subissent un véritable parcourt du combattant qui va leur coûter tant financièrement que psychologiquement. Tout est fait pour les culpabiliser, les décourager… Tout est à leur charge. Et comme le Mississippi impose un délai de réflexion de 24h entre le rendez-vous à la clinique et l’acte médical, il leur en coûtera également une nuit à l’hôtel. Et si elle ont surmonté toutes les étapes, il leur reste encore à passer la barrière humaine des pro-vie qui leurs crient qu’elle vont commettre un meurtre. Que le bébé va souffrir pendant l’avortement (ce qui est faux), qu’elle seront stériles si elles se font avorter (encore faux)…

Extrêmement bien documenté et réaliste, plus qu’une magnifique lecture, c’est un roman nécessaire : chaque personnage est le reflet d’un pan des États-Unis et de l’énorme paradoxe qu’est ce pays. C’est à découvrir absolument pour toutes ces raisons : des personnages magistraux, une intrigue magnifiquement pensée et une approche extrêmement documentée de ce que sont les États-Unis aujourd’hui.

Dans le même style et le même genre, il semblerait que le dernier roman de Joyce Carol Oates fasse également référence au thème difficile de la politique d’avortement américaine. Je vais d’ailleurs bientôt le lire pour vous en parler.

Son titre : Un livre de martyrs américains aux éditions Philip Rey.

Pour en savoir plus sur cette fameuse et unique clinique à pratiquer l’avortement au Mississippi, je vous invite à lire cet article du Sud Ouest : « Dans le Mississippi, une seule clinique pratique l’avortement ».

PS : J’ai adoré le petit clin d’œil fait à La Loterie de Shirley Jackson au travers d’une phrase d’Olive (p.325 pour les curieux). Ce genre de référence d’une autrice envers une autre me fait toujours sourire…

La loterie est un grand classique de la littérature américaine fort méconnu par chez nous. Il mérite pourtant le détour.

Laisser un commentaire