Chronique : La mort avec précision

Un roman mémorable, incroyable, comme rarement j’en ai lu… Découvrez le merveilleux univers de Kôtarô Isaka, vous ne verrez plus la littérature de la même façon.

Il y a des livres qui ont la grâce. Qui vous font vous sentir mieux, qui vous donne un élan, une pulsion, vous faisant voir les choses autrement. La mort avec précision est ceux là.

Ce n’est pas le premier roman de Kôtarô Isaka, mais ce fut une véritable découverte pour moi. Et parlons même de révélation, n’ayons pas peur des mots.

En France, trois de ses ouvrages sont parus, tous aux éditions Picquier : La prière d’Audubon et Pierrot-la-gravité.

Et même si cet auteur japonais n’est pas connu dans nos latitudes, La mort avec précision a bénéficié d’une adaptation cinématographique au Japon.

Dans le quotidien d’un shinigami

Peut-être connaissez-vous le manga Death Note ? Si oui, vous êtes déjà familier de ce qu’est un shinigami est quel est son but dans « la vie ».

Un shinigami est une créature issue du folklore japonais. Ce n’est pas un yôkai, mais on le retrouve dans les croyances japonaises, c’est un psychopompe (comme la Faucheuse en occident par exemple). Son but est de choisir qui doit vivre et qui doit mourir sur Terre.

Dans La mort avec précision, être un shinigami inclus nombre de contraintes semblables à celles des hommes. Travail, mission, rapport, conclusion, mise en œuvre…

Notre dieu de la Mort doit ainsi travailler, enquêter sur la personne qu’on lui a attribuée pour une semaine. Au bout d’une semaine, il doit dire à son service et dire si la personne est apte ou non. Apte à quoi ? A quitter notre monde bien sûr…

Et si c’est oui, comme c’est le cas à 99%, c’est au shinigami de faire en sorte que la personne passe l’arme à gauche. Tout en subtilité, comme si c’était le destin… et il repart pour officier sur un autre cas.

C’est ainsi que nous suivons ce dieu de la Mort, lui qui est toujours accompagné par la pluie où qu’il aille, et qui n’a pas le droit de toucher les êtres humains… Il est seul, mais ne ressent jamais la solitude.

Une façon différente d’aborder la culture japonaise et sa littérature

Entre roman, policier et fantastique, on navigue entre ces trois styles que l’auteur maîtrise à la perfection. Le tout donne une œuvre incroyable, inclassable et atypique.

Loin du roman classique, il s’agit ici d’un recueil de nouvelles connexes qui une fois lues nous donne un tableau d’ensemble magnifique. C’est pourquoi que je le nommerais roman malgré tout. Toutes les nouvelles sont liées, mais c’est avant tout la dernière qui sert de clef de voûte à ce chef-d’œuvre de la littérature. L’histoire de cette vieille coiffeuse qui n’a jamais vu son petit-enfant et qui va trouver une solution incroyable pour le voir est fabuleuse… c’est marquant.

Pourquoi ai-je mentionné que ce livre était aussi un ? Tout simplement parce que chacune des nouvelles recèle une énigme, un mystère. Il y a l’histoire de cette femme harcelée par un mystérieux client au téléphone, celle de ce mort dans un hôtel isolé, en pleine tempête de neige… Ou encore l’incroyable vécu d’un jeune homme quand il était enfant et qui le poursuit encore dans sa vie d’adulte.

Et le lien entre toutes ces nouvelles est magnifiquement tissé au travers de ce fameux shinigami. Attachant, résolument drôle malgré lui, mystérieux… C’est ainsi que l’on peut décrire le narrateur de ces tranches de vie nippones.

J’ai rarement lu une histoire au personnage aussi attachant et étrange tout à la fois. Il n’a jamais vu le soleil car la pluie tombe systématiquement quand il descend sur la terre. Il adore la musique et dès qu’il a la moindre minute il fonce dans un magasin de CD écouter des samples. il y rencontre d’ailleurs souvent d’autres collègues shinigami. Pour une raison mystérieuse, la musique humaine leur procure un plaisir à nul autre pareil. Là où rien d’autre chez l’homme ne trouve grâce à leurs yeux, c’est amusant.

Autre détail sur notre psychopompe nippon : il est totalement hermétique à l’humour ou à toute forme d’expression imagée. Ce n’est pas par manque d’esprit, mais c’est tout simplement que les métaphores ou les expressions lui échappent totalement. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est souvent drôle malgré lui.

  • Vous avez bien demandé si on était homos ?
  • Je blaguais, évidemment, et puis même si vous êtes homos, vous pourriez avoir un peu de dignité. Au fait, vous en êtes ou pas ?
  • Lui, oui, c’est un homo sapiens, ai-je répondu en désignant du regard Morioka […]. Moi, c’est différent.

Ce passage m’a fait sourire, cat il est systématiquement à côté de la plaque, et donc très touchant.

Et puis… derrière cette façade froide de dieu de la Mort, on découvre quelque chose d’incroyable. Loin d’une quelconque sensiblerie, on est simplement subjugué par ce portrait insensible et humain à la fois. C’est totalement paradoxal, il n’y a qu’en lisant cet ouvrage que vous comprendrez ce à quoi je fais référence…

Mais une chose est certaine. J’ai rarement été autant touchée par un texte, par son message, ses nombreuses symbolique sur la vie, ce qu’on décide d’en faire ou d’y voir. C’est une merveille. La mort avec précision fera indéniablement partie des livres qui vont me suivre toute ma vie. Et au-delà.

Mon seul regret, c’est que cet ouvrage ne soit pas plus connu, plus partagé tant il mériterait de circuler. Une fois qu’on l’a lu, on ne désire qu’une chose, en parler autour de soi, disséquer chaque phrase que l’on a lu, aimée… Je vous souhaite donc de faire cette découverte littéraire et de la diffuser autour de vous… ça vaut le détour.

PS : Pour l’anecdote, j’ai trouvé génial que l’auteur incorpore le héros d’un de ses autres romans à cet ouvrage. Ainsi, dans la nouvelle La mort en voyage nous croisons Haru, le personnage principal de son roman Pierrot-la-gravité.

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