Pourriez-vous nous raconter votre parcours ? Comment en êtes-vous venu à devenir auteur ?
Je crois que je suis devenu auteur par solitude. J’ai été très coupé du monde dans mon enfance, et l’écriture a été un moyen de communication qui remplaçait les échanges oraux, physiques… bien qu’il ait fallu des années pour avoir des lecteurs et donc pour que cela devienne de la communication à proprement parler. Ma première lectrice fut ma mère. Elle doit d’ailleurs être la seule à saisir tout ce que je raconte en filigrane dans mes livres, parce qu’elle a avisé mes souffrances de près. Donc, je pourrais dire aussi que je suis devenu écrivain par souffrance. Ou parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, vu que lorsqu’on grandit dans une famille sans le sou, il n’y a pas beaucoup d’activités accessibles. La Belgique a une grande tradition du livre d’occasion, et acheter des livres était plus ou moins le seul « artifice » que nous pouvions nous permettre. Quand j’étais gosse, un magazine pour enfants s’achetait l’équivalent de 10 cents, une bande dessinée 1 à 2 euros, un livre de poche 50 cents. À ce prix-là, on pouvait se permettre d’aller une fois par mois faire des achats. Mais c’était tout. Pas de télévision, pas de vacances, pas de cinéma (en dehors des sorties scolaires, je crois n’avoir pas été plus de cinq fois au cinéma entre mes 6 et 12 ans), rien de ce qui coûtait plus de 5-6 euros.
Alors, bien sûr, on ne devient pas écrivain juste parce qu’on est seul et qu’on souffre. Il y a des lectures qui vous marquent, et qui, dans un contexte favorable à ce type de discipline, permettent de définir la tendance stylistique et de genre d’un futur auteur. Je crois qu’on ne peut devenir écrivain que si on découvre au préalable des auteurs qui s’inscrivent comme une révélation – pour ne pas dire une révolution – dans votre vie et dans votre mode de pensée. J’écris depuis l’âge de sept ans, mais à cet âge-là, il n’y avait pas encore d’écrivain qui m’avait frappé, qui avait bouleversé ma vision des choses.
Ce n’est qu’à l’âge de douze ans que j’ai découvert la littérature d’épouvante, et que j’ai compris dans quel genre littéraire j’allais travailler. Si je n’avais pas découvert ces livres qui m’ont tant fasciné (Danse Macabre de Stephen King, Ghost Story de Peter Straub, Livres de Sang de Clive Barker, Les Enfants du Rasoir de Joe R. Lansdale, L’Heure des Chauves-Souris de Leigh Nichols…), je ne me serais peut-être pas mis à écrire en vue d’être publié. À côté de ces auteurs dits de « genre », j’aime aussi Boris Vian, Marguerite Duras, Catherine Breillat, Hervé Bazin… mais même si je passe un agréablement moment avec un de leurs romans dans les mains, je ne peux pas dire que ce soient eux qui m’aient donné l’envie d’écrire. Ils ont été des plaisirs isolés, mais pas une stimulation. Ils me sont d’ailleurs très exotiques, tant par la forme que par le fond. Alors que lorsque je lis un roman d’épouvante anglo-saxon, ça me parle, je m’y retrouve complètement, il pense ce que je pense. Maintenant, à la question de savoir pourquoi je suis attiré par cette littérature très spécifique, je n’ai pas d’autre réponse que « parce que c’est comme ça ». Il faut de tout pour faire un monde. Certains naissent avec la vocation de juriste, d’autres avec celle de danseur, d’autres encore avec celle de vétérinaire. Eh bien, il faut croire qu’il y a des gens qui naissent avec la vocation d’écrire des romans fantastiques ou à suspense. Je crois qu’il y a des questions qu’il ne faut pas trop se poser, parce qu’elles font perdre plus de temps qu’autre chose.
Tout psychanalyser est une erreur. L’important, c’est de créer, quelle que soit notre nature, quels que soient nos goûts et nos aspirations. Tout ce que je peux dire, c’est que cette littérature me parle parce qu’elle présente une grande intensité psychologique, qu’elle creuse dans l’âme humaine pour en dénuder les strates les plus obscures et pour tenter d’expliquer les accès de brutalité difficilement compréhensibles d’un point de vue logique et rationnel, sauf si on part du postulat que l’homme est un animal féroce à l’instar de l’alligator ou du requin. J’ai toujours essayé de comprendre l’être humain dans son penchant pour faire le mal, dans son plaisir de faire la guerre, d’envahir, de conquérir, de détruire, et cette littérature-là est celle qui m’apporte le plus de réponses sur le problème des « pulsions » et de l’existence potentielle d’une entité maléfique que certains appellent « Satan » et d’autres la « folie » sous toutes ses déclinaisons psychiatriques. J’essaye de comprendre pourquoi on trouve autant de cruauté dans notre monde, mais plus je cherche, moins je trouve. L’espèce humaine est à mes yeux la plus grande énigme de l’Histoire universelle. Ça peut paraître bizarre, mais j’ai le sentiment de mieux saisir Dieu que je ne saisis l’être humain… J’ai récemment vécu une histoire assez terrible avec une secte jéhoviste-sataniste à Lyon, et cette mésaventure à la perversité insoutenable m’a profondément affecté. J’en arrive à me demander si parce que je m’intéresse aux côtés obscurs de l’être humain, cette Intelligence à la source de la vie ne me propulse pas sur des sentiers qui mènent aux gens les plus ténébreux qui soient en ce monde… Je ne crois pas au hasard. Il n’y a pas de hasard. Comme l’a si bien dit je-ne-sais-plus-quel auteur : « Le hasard est la seule manière que Dieu a trouvée pour agir en toute discrétion »…
J’espère ne pas m’être trop égaré de la question de départ… Pour résumer ce dernier point : est-ce parce que j’écris des choses assez sombres que ma vie est sombre ? Ou est-ce parce que ma vie est sombre depuis ma petite enfance que j’écris des choses relativement sombres ? Le fait est qu’il y a toujours eu beaucoup de ténèbres dans ma vie, et que je ne peux pas en faire abstraction. De la même manière, on ne peut pas ignorer le fait d’avoir un pied bot, même si ça n’empêche pas de marcher ou de construire une maison. C’est quelque chose qu’on traîne avec soi du jour où l’on naît à celui où on part pour le Grand Voyage Intersidéral. La vie, c’est apprendre à apprivoiser ses handicaps et les injustices du destin.
Mon parcours a été un peu désordonné. Parce que ma jeunesse avait été difficile, et que j’avais été fortement défavorisé par rapport aux autres autour de moi, j’avais perdu toute confiance en moi. J’avais donc fait une croix sur des études supérieures, me disant que de toute façon j’allais échouer. S’en sont suivies des années très difficiles psychologiquement, où je ne trouvais pas ma place et où je sombrais, même si j’écrivais énormément, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Et puis, poussé par un employé de l’Office National de l’Emploi à Bruxelles, à 25 ans j’ai entamé des études à la Faculté de Lettres, que j’ai réussies haut-la-main, et ces années universitaires ont complètement changé ma vie. C’est là que toute ma vie actuelle s’est mise en place. Pendant mes études, j’ai commencé à publier des livres, à travailler pour des maisons de production de films, à faire du théâtre… C’est entre 2000 et 2004 que tout s’est joué pour moi. Depuis, je n’ai jamais arrêté de travailler dans les domaines de la littérature, du cinéma et du théâtre… trois déclinaisons qui se complètement bien, je trouve.
…
Le pica est une maladie fort méconnue, comment en êtes-vous venu à la découvrir ?
Il y a des choses que j’ai découvertes par de curieux biais. A mes 20 ans, sentant que mes connaissances dans la langue française étaient assez pauvres, je me suis mis à lire le dictionnaire de A à Z. De cette manière, j’ai découvert des mots que je n’avais jamais entendus. Je les mémorisais, les classais dans un dictionnaire d’analogies que je me constituais au fil de cette lecture, afin de pouvoir retrouver des mots rares assez facilement. C’est ainsi que j’ai découvert les mots PICA et MORFAL. J’aimais la résonance de ces mots ; je suis très sensible aux sonorités. Et lorsque j’ai appris leur signification, je les ai associés, et ça a donné PICA MORFAL BOY. J’aimais ce titre, parce que ça donnait un aspect comic book américain, presque superhéros. D’une certaine manière, Jiminy est plus qu’un antihéros, c’est un antisuperhéros ou un superantihéros. Oui, c’est donc par le truchement d’un dictionnaire que j’ai découvert cette maladie. C’est amusant, non ? J’ai commencé à écrire ce roman il y a 17 ans sur base de ce titre, de cette association de mots. Les mots sont puissants. Un seul mot peut vous inspirer une saga tout entière. C’est le cas de Blood Bar, dont je suis en train d’écrire la suite.