Jiminy subit de nombreuses transformations aussi bien physiques que psychologiques… comment avez-vous trouvé les idées pour faire « muter » votre personnage dans l’horreur ?
Encore une fois, par logique. L’empathie et l’intensité psychologique ont toujours été les points forts de mes écrits. J’essaye de me glisser dans la peau du personnage et de me poser toutes les questions possibles et imaginables quant à « ce qu’il se passerait SI », et psychologiquement, et socialement, et physiquement.
J’ai étudié les effets secondaires de l’exposition aux substances radioactives, j’ai interrogé une amie qui étudie la médecine par rapport à certains points précis… Je n’ai finalement utilisé que très peu d’informations de toutes celles que j’avais rassemblées en préparation de la deuxième mouture du roman, mais j’avais besoin de ces points de repères, même si mon roman est un roman de fiction qui prend beaucoup de libertés par rapport à la logique scientifique…
J’ai beaucoup pensé à Edward Scissorhands en décrivant Jiminy, car le personnage du film de Tim Burton est à la fois un monstre et à la fois un personnage fabuleux. Dans le fond, si j’avais écrit Edward aux Mains d’Argent, peut-être l’aurais-je confronté à des tueurs et aurait-il été amené à se servir de ses doigts-ciseaux pour autre chose que pour couper des cheveux, si vous voyez ce que je veux dire. Après, dès lors qu’on installe un élément fantastique, chacun le développera de manière différente. Si Tim Burton vire davantage dans le fantastique, moi je vire naturellement dans l’horreur, parce que mes livres sont des prétextes à critiquer l’extrême violence qui mine notre monde, et que je supporte mal. Je connais bien la violence car j’ai grandi dans un arrondissement violent.
Je ressens le besoin de parler de ce qui me dérange, davantage que de ce qui me plaît. Quand tout va bien, finalement, on n’a pas trop envie de parler, on se contente de jouir en silence. C’est quand quelque chose ne va pas qu’on ouvre sa gueule. Au fond, mes bouquins crient… ou plutôt, ils rient jaune. Parce qu’ils sont empreints d’ironie. Certains lecteurs m’ont écrit qu’ils s’étaient marrés en lisant mes livres. Et j’en étais content, parce que, croyez-le ou non, c’était le but : regarder ce qui ne va pas, mais avec beaucoup d’ironie, et parvenir à en rire tellement ce que j’écris est poussé à l’extrême. Même si je maintiens que mes deux romans sont aussi impossibles que ne l’était le voyage sur la lune de Jules Verne en son temps. Ce n’est qu’une question de temps. Cependant, pour l’heure, ces romans sont volontairement excessifs.
Les sujets traités sont douloureux, et pour cette raison je ne voulais pas traiter ces récits de manière trop réaliste. Tout comme dans les films d’horreur italiens le sang qui gicle est volontairement d’une consistance et d’une couleur ridicules, pour décrédibiliser les scènes de meurtre à l’arme blanche, parce que s’ils étaient traités de manière trop réaliste, on tomberait dans une horreur insupportable comme dans Hostel, The Human Centipede ou A Serbian Film. un genre de films qui ne cadre pas avec mon éthique personnelle. On ne raconte pas une histoire pour aller le plus loin possible dans la torture, mais pour émettre un regard critique sur un point problématique de la société humaine.
Après, bien sûr, chacun fait ce qu’il veut. Mais j’estime qu’un auteur a une responsabilité vis-à-vis de son lectorat. À ce titre, il ne devrait pas écrire des choses immorales. Un auteur se doit d’avoir une éthique. Il y a des limites à ne pas dépasser. La démocratie, la liberté de penser, ne signifient pas produire des saloperies. Nuance !
Si on a envie de lire des romans dans le même genre que L’enfant nucléaire, que nous conseillez-vous ?
C’est difficile à dire, parce que j’ai voulu, justement, que ce roman ne ressemble à aucun autre… Mais ce qui peut se rapprocher de Jiminy, en tout cas au niveau de l’ambiance et du personnage, c’est La Triste Fin du Petit Enfant Huître et autres histoires, un recueil de poèmes du réalisateur Tim Burton, ou les comic books The Toxic Avenger de chez Marvel et Big Baby de Charles Burns. Mais je ne sais pas s’il y a des romans qui se rapprochent de L’Enfant Nucléaire (Pica Morfal Boy).
Et d’après ce que j’ai compris de mon éditeur, c’est précisément parce que c’est un livre trop différent de ce qui existe, inclassable, qu’il a eu du mal à trouver sa place dans les rayonnages des librairies, et dans les choix des lectrices/lecteurs, et qu’il est aujourd’hui condamné.
La couverture de L’enfant nucléaire n’est autre qu’une œuvre de Kris Kuksi intitulée Original Sin. Je trouve qu’elle colle parfaitement à l’esprit sombre du roman. Avez-vous eu votre mot à dire sur ce choix visuel ? Auriez-vous vu autre chose ?
Je n’ai pas eu le choix de la couverture. En général, un auteur n’a pas le droit de choisir sa couverture, c’est l’éditeur qui choisit. Mais Tibo Bérard de Sarbacane m’a envoyé son idée de couverture pour avoir mon avis, et j’ai beaucoup aimé son choix, cette œuvre de Kris Kuksi (qui m’a envoyé un clin d’œil sur facebook, d’ailleurs, au moment de la parution du livre – c’est parce qu’il avait été convaincu par le sujet du roman qu’il a autorisé Sarbacane à utiliser cette œuvre pour la couverture, ce qui est plutôt flatteur pour moi), même si cela donnait une couverture très noire.
Trop noire, peut-être ? Au départ, j’avais en tête une couverture plus colorée. J’aurais repris une scène du roman, celle où Jiminy se met au défi de boire du carburant directement au pistolet d’une pompe à essence. Je voyais bien cette scène en couverture, mais sans aucun public, montrant la solitude de Jiminy, dans un décor crépusculaire, au bord d’une autoroute perdue dans une vaste contrée désertique typique des États-Unis. Et tout ça dans un graphisme semblable à celui de certaines couvertures de romans d’épouvante édités chez J’AI LU, comme Les Enfants du Rasoir de Joe R. Lansdale, Les Cadavres ressuscités de Patrick Whalen, Livre de Sang de Clive Barker (première édition) ou encore La Vallée des Lumières de Stephen Gallagher.
Une couverture, c’est quelque chose de très personnel. Avant, j’aimais les couvertures très sombres. Aujourd’hui, je les préfère avec des couleurs vives. Une couverture de type comic book aurait aussi convenu à L’Enfant Nucléaire (Pica Morfal Boy). J’aime beaucoup la couverture que Sarbacane a conçue pour Blood Bar, avec la femme qui boit du sang.
Vous avez annoncé une suite à Blood Bar sur les réseaux sociaux… pour quand est-elle prévue ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Il est aussi question d’une adaptation en bd du premier tome ? Qu’en est-il ?
Alors, l’idée est de sortir Blood Bar 2 en même temps que la bande dessinée de Blood Bar 1. Mais tout a pris du retard parce qu’aucun des dessinateurs qui se sont présentés ne convenait à l’éditeur. Nous cherchons des dessinateurs dans la veine des comic books tels que Preacher, Transmetropolitan ou The Dark Tower.
J’avais un dessinateur prévu à la base, très branché western, ce que je trouvais intéressant pour Blood Bar car ce roman accuse un caractère cow-boy – ce n’est d’ailleurs pas par hasard que j’ai appelé un des personnages principaux Bob Wayne, allusion à John Wayne, et dans son attitude, et dans son habillement, et dans sa démarche, et dans son parler. Mais cet ami dessinateur a eu des soucis personnels et n’a pas pu attaquer le projet, alors que j’ai attendu ses essais pendant trois ans.
Je suis pour l’heure en pourparlers avec Sarbacane pour la suite de Blood Bar. Le problème, lorsque les années passent, c’est que les gens perdent leur motivation. J’ai élaboré le deuxième volume de Blood Bar de telle sorte que s’il ne paraît pas comme une suite de Blood Bar, il peut être retravaillé de manière à constituer un roman à part entière sans la thématique des bars à sang. Avec l’expérience, on apprend à devenir astucieux, parce qu’une carrière littéraire en dépend.
La machine éditoriale est devenue si lente, si complexe, qu’on arrive à peine à faire paraître un livre tous les trois-quatre ans. De nos jours, un Simenon n’aurait pas pu publier un 50ème de son œuvre. Il n’y a plus que les stars qui peuvent produire avec régularité. Et en même temps, ce système d’un roman à chaque rentrée littéraire les dessert parce que les appauvrit. On écrit parce qu’on a quelque chose à dire, pas parce qu’on est sous contrat ou pour l’argent. Dans l’idéal, je veux dire. Et quand on n’a plus rien à dire, il faut avoir la décence et la sagesse de se retirer et de laisser place aux nouveaux…
Beaucoup de romans qui paraissent m’ennuient. Je feuillette les sorties littéraires dans les librairies, et après une heure, j’ai lu deux-trois pages d’une vingtaine de bouquins, et pas un seul ne m’a séduit. C’est terrible à dire, mais de nos jours je m’emmerde royalement. Peut-être, au fond, que j’écris les livres que j’aimerais trouver dans les librairies et que je ne trouve pas.
Je me plonge de plus en plus dans les autobiographies de gens qui ont vécu des histoires difficiles, violentes et douloureuses, que je chronique d’ailleurs sur mon blog daphnobody.blogspot.com. Ces livres-là m’apportent aujourd’hui beaucoup plus que la fiction. Dans un registre plus « fiction », j’aime énormément me plonger dans la bande dessinée aussi. On m’a d’ailleurs dit plus d’une fois que mes romans se rapprochent très fort de l’univers sombre et délirant des comics américains. Donc, Blood Bar 2, en attente…
Votre ouvrage L’enfant nucléaire traverse une mauvaise passe en ce moment : pouvez expliquer à nos lecteurs quels sont les problèmes qu’il rencontre actuellement ?
Comme je le disais, ce roman était trop différent de tout ce qui existe, du coup difficile à classer. L’éditeur a eu du mal à le promouvoir, la plupart des librairies ne suivaient pas, étouffées par des montagnes de best-sellers, eux, très facilement classables et vendables. Ça a découragé la distribution, et le livre est quasi passé inaperçu, même s’il a eu beaucoup d’échos sur des blogs littéraires et sur les réseaux sociaux – il fait d’ailleurs partie aujourd’hui des romans pour lesquels les gens peuvent voter dans le cadre de ma candidature à l’Académie Balzac, donc le roman n’est pas mort, il existe encore.
Je pense qu’il est trop en avance sur son temps. Je suis sûr qu’un jour, quand les problèmes du nucléaire atteindront des limites périlleuses à l’échelle mondiale, ce roman trouvera davantage sa place sur les étals qu’aujourd’hui. Ce ne sera pas la première fois qu’une œuvre rencontre du succès dix ans, vingt ans ou un siècle après sa création. Il faut être patient dans ce métier. Affaire à suivre, donc…
Comment les lecteurs de La Bibliothèque de Glow peuvent-ils vous aider à leur échelle ?
Je crois qu’il n’y a pas de secret. De nos jours, la concurrence dans le marché du livre est telle qu’un nouvel auteur a de plus en plus de mal à se démarquer. Alors, la seule façon de l’aider, c’est de le mettre en avant, de lui consacrer des étals, des vitrines, parler de lui.
C’est psychologique. Si dans une journée une personne entend parler à dix reprises d’un livre, pour peu que la littérature l’intéresse elle ira le feuilleter dans une librairie ou dans une bibliothèque. Ce n’est pas dit qu’elle l’achètera ou l’empruntera, mais sa curiosité de le feuilleter aura été suscitée. Alors qu’un livre dont personne ne parle et qui ne se trouve nulle part, a peu de chances de rencontrer le succès, ou même tout bonnement l’intérêt du public.
Tout est une question de visibilité. Les majors de l’édition achètent des étals, des encarts dans les journaux, des affichages dans les métros et sur les quais de gares… Les petits éditeurs n’ont pas les moyens de se payer telles opérations, par conséquent les jeunes auteurs peu connus ont peu de chances d’obtenir de la visibilité, et se retrouvent noyés dans un océan de best-sellers garantis.
Autre chose à ajouter ?
Mon prochain roman – et c’est un scoop – s’intitule Pop Life Killer et paraîtra bientôt chez Rebelle Editions.
C’est un roman très différent des précédents. Très énigmatique. Une sorte de labyrinthe psychologique qui mène d’un personnage à un autre… à moins que ce ne soit d’un personnage à lui-même…