Chronique Jeunesse : Jefferson

Un roman jeunesse époustouflant de justesse et de finesse d’esprit, le tout au service d’une intrigue policière originale !

Jean-Claude Mourlevat est un auteur qui écrit à la fois pour les enfants, les ados et même les adultes. Parmi ses ouvrages les plus marquants, on peut citer La rivière à l’envers (qui m’a fait pleurer par sa beauté rare), Le combat d’hiver (au final saisissant, à l’intrigue magistrale), chez les adultes ont peut citer Et je danse aussi coécrit avec Anne-Laure Bondoux.

Une histoire épineuse…

Tout allait bien pour Jefferson, il s’était préparé un bon repas, était prêt à recevoir un ami dans quelques heures… et se rendait tranquillement chez le coiffeur. Sauf qu’en arrivant chez ce dernier, il ne découvre qu’un cadavre !

Jefferson réagit très mal dans le vif de la situation, il enlève la paire de ciseaux coincée dans la gorge de son coiffeur préféré… et se retrouve injustement accusé de meurtre. C’est donc apeuré et en fuite que Jefferson quitte le salon de coiffure, sa maison et finalement sa ville. Son objectif, prouver son innocence en retrouvant le meurtrier. Une affaire d’autant plus délicate qu’il est poursuivit par la police et déjà coupable aux yeux de tous… ou presque.

Un roman sociétal puissant sous couvert d’une histoire policière

Vous pensez avoir à faire à un énième roman jeunesse ? Original, mais pas extraordinaire ? Détrompez-vous. Tout dans Jefferson mérite qu’on s’y attarde et qu’on y réfléchisse sérieusement.

Déjà, le roman est très original : l’histoire de Jefferson se déroule dans un pays habité par des animaux. Mais il est possible de passer la frontière et d’arriver en territoire humain. Et les deux peuples se parlent et se comprennent. S’apprécient-ils ? Cela est délicat, car les humains sont loin d’avoir renoncé à leurs défauts, notamment celui de manger de la viande.

Ainsi, il y a trois échelles dans la société dépeinte par Mourlevat. Tout en haut, les êtres humains, juste en dessous, les animaux anthropomorphes doués de parole comme Jefferson, et en troisième position, les animaux que nous connaissons, sans parole ni pensée.

Il est ainsi très malaisant pour les animaux doués de raison de voir les humains manger leurs congénère sans aucun égard ni regret. Ainsi, des touristes animaux qui visitent le pays des humains passent-ils devant des abattoirs sans le savoir… terrible. Mais le pire, c’est encore au restaurant, où certains ont l’indélicatesse de leur faire des blagues douteuses sur un potentiel lien de parenté avec la viande qu’ils pourraient ingérer… Eurk.

L’univers dépeint, parfois seulement esquissé par Mourlevat est assez dense, et extrêmement intéressant. C’est ce qui rend toute l’histoire de Jefferson et de son enquête fascinantes. Dans la résolution de cette intrigue, tout est lié et savamment bien déroulé. C’est une réussite totale aussi bien en termes d’écriture que d’histoire.

Mais même si Jefferson est un petit hérisson tout mignon aux habitudes charmantes, l’âge du lectorat n’est pas celui que j’imaginais initialement. En effet, l’histoire est assez dense, de même que son intrigue et ses enjeux ce qui le rend idéal à partir de 12 ans minimum. Il y a toute une dimension philosophique qui interroge fortement : faut-il manger les animaux ? Pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Safran Foer. Est-ce moral ?

« C’est dingue ça, quand même, grognait-il […] : des spaghettis au basilic, du gratin dauphinois, des pizzas quatre saisons, des tartes aux framboises, des omelettes aux pommes de terre, des gâteaux à la noix, des soupes de lentilles corail avec du lait de coco, des crêpes à la confiture, des pommes, des poires, des abricots, des poêlées de champignons, des salades de tomate, des croissants, des tagliatelles au pesto, des crèmes à la vanille, des fraises, des melon, du riz, de la purée, des petits pois, du velouté du potiron, du chocolat aux noisettes… et ça leur suffit pas ! Ils trouvent que c’est pas assez, alors ils tuent les animaux pour les bouffer ! Je comprends pas… »

Ainsi, Jefferson est un roman que l’on peut assimiler à de la fantasy animalière, mais sans le côté fantastique que l’on y découvre habituellement. Plus sérieux et terre à terre par certains côtés, ce roman jeunesse offre une réelle réflexion sur notre société et ses écueils.

 Jefferson est donc un petit inclassable, mais quelle belle découverte !

PS : Saviez-vous que les bébés hérissons se nommaient des choupissons ?

Laisser un commentaire