Alice a de tout temps fasciné nombre d’illustrateurs, de lecteurs, toutes générations confondues. Le blog se propose d’ailleurs de constituer au fil du temps un référencement de tous les ouvrages ayant trait à Carroll et à son oeuvre, et c’est ainsi que la visite du musée de la carte à jouer s’imposait. Voici un petit reportage de cette visite et rencontre avec la conservatrice du musée : Agnès Barbier. J’ose espérer que cela vous donnera envie d’y faire un tour, et pour ceux qui n’auront pas cette chance, d’en avoir appris plus sur l’auteur, et l’homme-enfant qu’étais Lewis Carroll.
Le musée de la carte à jouer : découverte
Au musée de la carte à jouer situé à Issy-les-Moulineaux se déroule actuellement une magnifique exposition dédiée à Alice au pays des merveilles sous le titre « Alice au royaume des cartes à jouer – de Tenniel à Pat Andrea ». Cette exposition durera du 7 décembre au 11 mars 2012.
Qui était Lewis Carroll ?
De son vrai nom Charles Lutwiidge Dodgson, Lewis Carroll «était professeur de mathématiques à l’université d’Oxford. Pourquoi un pseudonyme pour écrire ? Tout simplement pour ne pas que les lecteurs de ses thèses et études ne le confondent avec l’écrivain à l’univers surréaliste d’Alice.
Carroll était mathématicien avant toute chose, mais il était aussi reconnu par ses pairs dans les domaines qui le passionnaient : les jeux de logique, la littérature ainsi que la photographie.
A l’époque victorienne, les jeunes filles jusqu’à l’âge de douze à treize ans environ étaient considérées comme très pures ; virginales. Chéries et adulées, et c’est ainsi que Lewis Carroll percevait les trois sœurs Liddell, en particulier Alice. Ces dernières étaient des voisins et amis de la famille de Carroll. L’amitié de Carroll pour ces jeunes filles le pousa à passer de longs moments avec elles, toujours accompagné de leur gouvernante. Ainsi, il faisait poser longuement les jeunes filles, allant même jusqu’à les faire se déguiser.
Leur complicité était telle qu’il leur inventait des jeux de mots et de logique, leur écrivait des lettres. Et au cours de nombreux après-midi, il leur inventait des histoires, dont celle d’Alice, dont les jeunes filles lui réclamaient avidement la suite jour après jour.
C’est ainsi que Carroll fit la promesse à Alice (elle avait 8 ans) de lui écrire cette histoire : il mit plus de deux années à tenir sa promesse, et lui offrit le roman qui allait faire partie de la culture nationale quelques années plus tard.
La publication d’un chef d’œuvre qui va devenir un classique
Le titre original de l’œuvre était Les aventures d’Alice sous terre (Alice’s adventures under ground), mais le titre fut modifié par Les aventures d’Alice au pays des merveilles par l’éditeur quand le manuscrit fut proposé à la publication pour des raisons mercantiles probablement.
La toute première édition fut publiée par l’éditeur Macmillan en 1865. Carroll avait déjà émis l’idée dans son manuscrit que l’image avait une place tout aussi importante que le texte, il avait d’ailleurs parsemé son texte de nombreuses illustrations et crayonnés (une édition du fac-similé est d’ailleurs disponible en France aux éditions ……).
Mais les illustrations de Carroll n’étaient pas assez esthétiques pour l’éditeur, et il décida malgré l’avis de Carroll de faire appel un « vrai » illustrateur : Sir John Tenniel, caricaturiste pour les journaux et illustrateur, son interprétation visuelle d’Alice va influencer à jamais des générations entières d’enfants et d’adultes. D’ailleurs, nombre d’illustrateurs d’hier et d’aujourd’hui ont du mal à se détacher de l’univers de Tenniel, si lié à l’œuvre de Carroll.
Mais outre cette petite révolution du livre où l’image complète parfaitement le texte et vice-versa, Alice est aussi le précurseur d’un autre genre de livre : les ouvrages destinés à la jeunesse.
L’Alice de l’artiste Pat Andrea
Pat Andrea est un artiste néerlandais contemporain qui fait partie des artistes ayant eu la chance d’illustrer Alice. Son œuvre est à la fois originale et innovante, et il aime lui aussi faire des clins d’œil à des références de son époque, tout comme Carroll.
Une très grande partie de l’exposition Alice du musée est consacrée à son œuvre. Le musée a eu la chance de pouvoir exposer l’intégralité des toiles qui ont servis à illustrer le livre qu’il a réalisé pour les éditions Diane de Selliers, sorti en 2006.
L’éditeur est spécialisé dans la publication des livres qui ont fait notre culture à tous (Don Quichotte, les fleurs du mal, l’Eneide…), leur rythme de publication est de 2 à 3 livres par an seulement, il s’agit donc de livres précieux.
L’Alice de Pat Andrea, n’est pas une petite fille mais plutôt une fille-femme, à l’apparence toujours changeante en plus de sa taille qui fluctue également au fil de l’histoire.
La taille des toiles est très impressionnante : plus d’un mètre cinquante sur un mètre quatre-vingt. Et la façon dont elles sont exposées fait une sorte de mise en abime très esthétique, mais aussi déstabilisante pour le spectateur : effet réussit.
Un univers surréaliste basé sur des jeux de mots
Beaucoup du texte de Carroll fait directement référence à la culture anglaise et à ses jeux de mots. Comme nous l’a expliqué la conservatrice du musée avec quelques exemples. Et pourquoi le lièvre de mars et le chapelier sont-ils fous ?
- Fou comme un lièvre de mars : Expression anglaise de l’époque issue du fait que le mois de mars correspond au début de la saison des amours des lièvres.
- Fou comme un chapelier : Autre expression anglaise, elle est tirée de la méthode de fabrication des chapeaux de l’époque. Ces derniers étaient composés de mercure, un matériau dangereux et dont l’usage régulier par les chapeliers provoquait hallucinations, et autres symptômes singuliers
- La simili-tortue : Personnage inventé de toute pièce par Carroll. En Angleterre, la soupe à la tortue est typique, mais comme il s’agit d’un met couteux, la tortue est souvent remplacée par de la tête de veau, appelée « mock turtle soup » (potage à la simili-tortue). Carroll fait comme si la simili-tortue était un animal réel.
Vous pouvez ainsi constater la malice de Carroll avec les mots et expressions anglaises de son époque. Une très grande partie de son œuvre est basée sur ces détournements et jeux de mots.
Une petite histoire de la carte à jouer
Les premières cartes à jouer ont étés créées en France, dans la ville de Rouen. Leur graphisme a posé les bases des cartes que l’on connaît de nos jours.
Mais même si l’origine de la carte à jouer se trouve en France, en 1628, les Anglais ont décidé de créer leurs propres cartes et d’interdire toute importation étrangère. La « Corporation des fabricants de cartes à jouer » est née (The Worshipful Company of Makers of Playing Cards). Les fabricants anglais prennent la relève, mais n’atteignent pas le niveau de détail et de finition des cartes françaises. Cependant, ce sont finalement les styles anglais plus grossiers et simplifiés qui vont s’étendre au monde entier et séduire les joueurs par leur graphisme plus visuel et mémorisable.
Alice et les cartes
Le musée a bien évidement mis en avant les chapitres les plus en lien avec les cartes elles-mêmes. Allant jusqu’à expliquer la symbolique de certaines cartes, et les jeux de mots dont Carroll a parsemé son œuvre.
Les cartes à jouer ne sont présentes que dans trois chapitres de l’œuvre d’Alice :
- Chapitre 8 : Le terrain de croquet de la reine ; il s’agit de la scène avec les jardiniers qui repeignent les roses. Où la malice de Carroll pour les jeux de mots fins nous y est confirmée : les fameux jardiniers sont des cartes de pique. Or, pique se dit en anglais spades, qui signifie également pelles.
- Chapitre 11 : Qui a volé les tartes ? ; il s’agit de la fameuse scène du procès. Où le jeu de cartes tout entier est réuni. Ce chapitre comprend d’autres clins d’œil à la culture anglaise comme des comptines.
- Chapitre 12 : La déposition d’Alice ; dernier chapitre des aventures d’Alice. Les cartes à jouer reprennent le statut qui est le leur, ainsi que leur taille normale : elles sont un simple jeu, et non plus des objets animés et doués de pensées.
Les autres jeux de Carroll
Carroll a créé un très grand nombre de jouets et de jeux pour ses « amies-enfants » comme il les appelait. Pour les concevoir il s’amusait aussi bien par le biais des mathématiques que des jeux de mots.
Il a ainsi inventé entre autres nombreuses choses : le Castle Croquet (règle de croquet inventée pour les jeunes Liddell), The Game of logic (méthode pour créer des syllogismes), Lanrick (jeu sur échiquier)…
Vous trouverez d’ailleurs dans le musée deux jeux interactifs permettant de tester votre inventivité. Vous pourrez également tester le fameux jeu sur échiquier créé par Carroll, le Lanrick ainsi que nombre d’autres jeux.
Un très grand nombre de produits dérivés d’Alice ont vus le jour suite au succès incroyable de l’œuvre, et ce du vivant de Carroll : mouchoirs, jeux de cartes à l’effigie des personnages, peluches, boites à thé. Mais bien loin d’être un homme d’affaire, Carroll avait accepté cette production à des fins avant tout privées. Il lui plaisait d’offrir à ses « amies-enfants » des choses et objets à l’effigie d’Alice au pays des merveilles et de faire plaisir à son entourga avec ce genre de cadeaux.
Vous pourrez d’ailleurs en voir quelques-uns lors de l’exposition, c’est ainsi que l’on se rend compte à quel point Carroll a eu de la chance de connaître un tel succès de son vivant, et le fait qu’il perdure encore après autant de temps est incroyable.
Pour conclure sur ce résumé de l’exposition, je tiens à remercier Agnès Barbier, conservateur en chef, pour son accueil chaleureux et dont l’investissement est merveilleux. Elle a su nous a présenter avec enthousiasme et passion l’exposition, qui a pris plus de deux années entières de sa vie. Merci.
Je n’ai pu vu décrire à peine qu’un dixième du contenu réel, alors si vous avez l’occasion de voir cette magnifique et riche exposition n’hésitez pas, cette visite dans le terrier du lapin vous en apprendra beaucoup sur le monde de Carroll et de tout ce qui a pu l’influencer.
Pour voir les photos de l’exposition en bonne qualité et dans leur intégralité rendez-vous sur la page Facebook du blog, dans la catégorie photos.
Infos pratiques : Musée Français de la Carte à jouer, 16 rue Auguste-Gervais, Issy-les-Moulineaux, Métro : Mairie d’Issy.
Pourquoi ne pas évoquer le film » Alice au Royaume des Cartes » réalisé pour l’exposition!
Bonjour, cet article n’est pas exhaustif et se voulait comme une présentation générale de cette belle exposition. Votre réaction est-elle due au fait que vous avez réalisé le film ? Nous aurions pu en parler et modifier l’article en conséquence.