Un roman extrêmement dérangeant et malgré tout hypnotique, toujours à l’entre-deux mondes, où insensé et logique se croisent
Jérôme Noirez est un auteur français désormais connu et reconnu sur la scène de l’imaginaire. Il a notamment signé : Le Diapason des Mots et des Misères (Griffe d’encre/J’ai Lu), Féérie pour les ténèbres (Nestiveqnen/Le Bélial), ou encore Fleurs de dragon (Gulf Stream/J’ai Lu). Pour la rentrée littéraire, c’est aux éditions Calmann-lévy que paraît son nouveau roman, dans la collection ambivalente Interstices.
Huit collégiens arrachés à leur existence par une étrange institution
Silling. C’est le nom de ce lieu qui ne se situe pas, qui s’énonce seulement. Et c’est à Silling que se trouvent les huit collégiens mystérieusement enlevés.
Pourquoi ? Par qui ? Ces questions, tout le monde se les poses, sauf peut-être Duclos. Un ancien animateur radio qui reçoit depuis peu des chèques pour conter tout les dix jours des histoires étranges et horrifiques à des mystérieux « pensionnaires »… ceux de Silling.
Conteur de métier, ses histoires ne sont pas de celles où l’on s’évade et où l’on s’épanouit. Le registre des récits de Duclos est plus sombre, plus informe aussi. Toujours à la limite entre réel et étrange, entre hasard malheureux et destin funeste… ses histoires fascinent autant qu’elles laissent mal à l’aise.
Tout au long du récit, notre seul œil sur le monde est celui de Duclos, et parfois aussi celui de sa fille, Ninon.
Vous avez dit sadique ?
Évidement, le titre de l’œuvre de Jérôme Noirez n’est pas sans rappeler une autre œuvre : celle du Marquis de Sade : Les cent-vingt journées de Sodome, œuvre controversée où des hommes font subir à d’autres êtres humains de nombreux sévices et tortures.
De nombreuses références parsèmes l’œuvre, outre les 120 jours, on retrouve certains personnage, mais aussi et surtout le lieu : Silling (Château de Silling dans le roman de Sade).
Quand on débarque dans le Silling de Jérôme Noirez, on ne sait à quoi s’attendre… des enfants enlevés n’augure jamais rien de bon. Mais il semblerait que leur disparition ait un autre but que de les torturer…
Sous la direction de quelques adultes dont un violeur en série récidiviste et une femme qui a commis un infanticide, les jeunes adolescents n’ont qu’à bien se tenir. Silling devient alors au fil des pages un endroit encore plus brumeux et évanescent dont le but flou devient carrément opaque. Une chose est sûre, dans 120 jours, ils seront libres, comme le leur indique le panneau lumineux qui décompte les jours…
Ces enfants enlevés on chacun des traits de caractères très développés par l’auteur, poussant certains des aspects les plus noirs de la psychologie humaine.
Jérôme Noirez explore ici l’image de l’enfance sous tous ses aspects. Quand l’enfant devient adulte sans passer par la phase adolescente, quand les adolescents restent trop enfantins, ou encore quand les adultes régressent ou ne grandissent jamais… beaucoup de cas de figure sont possibles.
Une écriture étrange à laquelle on s’habitue sans mal
La plume de Noirez dans 120 journées est à la fois simple et étrange. Son expression est faite de phrases courtes qui s’imprègnent facilement dans la mémoire.
Alors que les chapitres se déroulant à Silling sont fait par un narrateur omnipotent, ceux de l’extérieur son quasiment tous écrits par Duclos. Les passages avec ce dernier sont parmi les plus plaisants. Son expressivité, sa façon d’aimer sa fille Ninon (qu’il surnomme « sa crapote ») sont autant de choses à savourer. Son quotidien même en devient passionnant.
Quand à ses récits à la frontière du réel et d’autre chose, ils sont encore plus fascinants, hypnotiques et noirs, laissant également une place non négligeable à la répugnance.
Fascinant et dérangeant, ce sont mes mots à retenir pour 120 journées. Très difficile à décrire dans son ensemble, foncièrement malsain et étrange, cette œuvre mérite toutefois le détour pour son style narratif original de qualité, mais surtout pour son ambiance glauque très bien retranscrite. Cependant, âmes sensibles (comme c’est mon cas), abstenez-vous, certaines sont franchement dures à lire…
A l’image de la collection Interstices, ce roman de Jérôme Noirez nous laisse confus de ne pas savoir où s’arrête la réalité et ou commence le… reste.
Chronique réalisée pour le site ActuSF