Chronique : Les fils conducteurs

Un roman terrible pour traiter d’un drame humain et écologique de très grande ampleur…

Guillaume Poix est un auteur français à l’œuvre récente, qui s’étoffe peu à peu avec déjà trois romans et de nombreuses pièces de théâtre. Les fils conducteurs est un roman paru initialement chez Gallimard, dans la collection Verticales. Il est ensuite arrivé en poche chez Folio en septembre 2019.

Il y traite d’un sujet totalement méconnu et scandaleux, celui du traitement de nos déchets volumineux (micro-ondes, pc, frigo, etc.). Ces derniers étant souvent détournés et embarqués en Afrique pour faire les affaires de personnes peu scrupuleuses…

Un drame à tous points de vue

Nous sommes à Accra, au Ghana. C’est dans cette capitale que nous suivons le début d’une nouvelle vie pour Jacob et sa mère… Le chef de famille est mort, ils ont donc quitté la poussière des campagnes pour la crasse et l’agitation des grandes villes. Leur espoir : trouver un travail pour la mère, et que Jacob puisse continuer à aller à l’école. Mais la vie est trop dure pour ne pas que les deux se mettent au travail…

Jacob a donc à peine douze ans et va commencer à dépiauter, décortiquer, ouvrir, lacérer les objets que nous, riches occidentaux ne voulons plus. Son but ? Trouver des métaux recherchés, quelques gramme seulement parfois, pour les revendre et survivre jusqu’au lendemain…  Mais ce travail harassant a un prix, la santé, la fatigue, les poumons qui s’encrassent… Voilà la nouvelle « vie » de Jacob. Bienvenue à Agbogbloshie, où la lumière peine à traverser la fumée de composants brulés.

En parallèle, nous suivons le parcours d’un photographe qui décide de partir à Accra pour photographier ce terrain vague géant empli de déchets électroniques. Mais impossible d’entrer si l’on a pas les codes, les contacts… Mais Thomas est patient, d’autant plus si ce cliché peu faire du bien à sa carrière de photographe.

Accra, Ghana – September 09: Young African men burn electronic waste on the biggest electronic scrap yard of Africa in Agbogbloshie, a district of the Ghanaian capital. Disused equipment is burned to receive usable metal on September 09, 2016 in Accra, Ghana. (Photo by Thomas Imo/Photothek via Getty Images)

Un bal tragique est en marche

Les fils conducteurs est un roman dont le sujet m’a énormément intéressée, mais qui pour moi ne dénonce pas assez les circuits qui amènent notre télévision jetée au bas de la rue directement au Ghana ou ailleurs en Afrique.

Certes, nous ne sommes pas dans un essai ou un ouvrage politique, mais il y a volonté très claire de l’auteur de mettre en lumière cet énorme dysfonctionnement. Quels sombres arrangements, quels détournements amènent tous les jours des tonnes d’écrans, de téléphones, de pc portables entre les mains de gamins ? Enfants dont l’espérance de vie ne dépassera pas plus de 18 ans pour cause d’environnement d’une toxicité inimaginable… et eux y vont sans aucune protection. Parfois même pieds nus. Ils brûlent même des câbles pour pouvoir atteindre le métal qui les intéresse, qu’importe ce qu’ils inhalent…

Et puis… il y a un autre marché noir dont l’auteur parle, encore plus révoltant. Mais peut-être la façon dont le sujet est amené m’a autant voir plus choquée. Injustifiable. On dirait que Guillaume Poix voulait absolument que ses deux personnages soient les acteurs d’un drame terrible (et peu crédible selon moi).

J’avoue avoir tout de suite détesté le personnage du photographe. Trop précieux, trop soucieux de broutilles, jaloux de la réussite des autres et à la recherche du cliché qui le lancera… peu importe le prix. Il n’est jamais dans l’empathie. Je n’ai pas senti le besoin de dénoncer chez lui, mais de profiter de la pauvreté pour montrer qu’il est un artiste lui aussi.

Mais ce personnage peu sympathique n’aurait jamais du mener à cela selon moi. J’ai le sentiment que l’auteur voulait terminer par du tragique, quel qu’en soit le prix. Pourquoi pas ? Mais pas d’une façon aussi maladroite et cruelle selon moi. Ce qui m’a posé problème, c’est qu’il n’y a pas de cheminement logique menant à cette conclusion…

Malgré ce défaut majeur, j’ai été intéressée par l’histoire de Jacob. Mais bizarrement, la scène la plus triste selon moi, c’est quand la mère du garçon décide de le récompenser en achetant une télévision avec plusieurs mois d’économies. Et que cette télévision est très lourde. Et qu’elle la lâche un court instant, l’abîmant au passage… Si triste… Si bien dépeint…

En résumé, ce roman n’est pas à lire pour son intrigue selon moi, mais avant tout pour son sujet que peu abordent. Très intéressant, même si on aurait apprécié une enquête plus poussée sur les réseaux souterrains faisant travailler pour rien des enfants ou à peine plus… Mais c’est déjà bien qu’un tel sujet soit traité, même s’il devrait l’être encore plus largement. Le final m’a beaucoup agacée par son manque de crédibilité, mais je vous laisse juge.

PS : En faisant des recherches photographiques sur Agbogbloshie, je suis tombée par hasard sur des photos d’un certain Thomas Imo pour Getty Image. Ce photographe a pris quantité de photos à Agbogbloshie. Je ne sais pas si l’auteur s’est inspiré d’un nom de photographe ayant fait quantité de clichés là-bas pour imprégner son roman de réalisme ou si c’est le fruit du hasard, mais j’ai trouvé ça cocasse. Cf les deux photos Getty Images de l’article.

Accra, Ghana – September 09: Young African men burn electronic waste on the biggest electronic scrap yard of Africa in Agbogbloshie, a district of the Ghanaian capital. Disused equipment is burned to receive usable metal on September 09, 2016 in Accra, Ghana. (Photo by Thomas Imo/Photothek via Getty Images)
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