CHRONIQUE : Le bleu ne va pas à tous les garçons

Paru en juin 2021 aux éditions De Saxus, cet ouvrage est un témoignage encore rare d’un africain-amériquain queer. Sa démarche est simple : ouvrir la voix aux jeunes queers comme lui, mais également à tous les autres. Tous les membres de la communauté LGBTQIAP+ pourrons être intéressés par cet ouvrage, mais pas seulement.
En effet, en tant que lectrice cisgenre blanche, j’ai également trouvé de quoi apprendre et mieux comprendre tout un cheminement que certain.e.s ont dû traverser. En somme, il n’y a pas besoin d’être concerné directement pour s’intéresser au sujet et lire ce livre.

Une vie à la frontière des genres

George M. Johnson a eu de la chance et il le dit constamment dans son ouvrage : il a été entouré d’énormément d’amour. Constamment, indéfectiblement, inconditionnellement. Et c’est assez rare pour le souligner quand on sait que quantité d’enfants avouant leur différence sexuelle à leurs parents sont rejetés, parfois même mis à la rue.

Son histoire est double : c’est celle d’un petit garçon noir aux États-Unis et celle d’un queer qui ne sait pas encore mettre des mots sur ce qu’il est, mais qui sait qu’il est différent. On le lui rappelle déjà trop souvent : il se déhanche trop, ne devrait pas s’intéresser à la corde à sauter, ne devrait pas non plus rechercher la compagnie des filles plutôt que celle des garçons… etc.

Mais la résilience de George M. Johnson semble infinie grâce à cet entourage précieux qui le protège tout en sachant qu’il est différent. Ou plutôt, iel est différent, l’auteurice souhaitant être désigné sous les pronoms iel et ellui.

Une histoire des Etats-Unis différentes de celle que les jeunes américain.es apprennent

Lire Le bleu ne va pas à tous les garçons c’est balayer au passage tout ce que l’on pense connaître de l’histoire des États-Unis et de ses « héros ». Je pense notamment au chapitre « Honest Abe » m’a menti, Honest Abe étant le surnom donné à Abraham Lincoln. Ce dernier est représenté comme le symbole de l’abolitionnisme alors qu’il n’était pas aussi égalitaire que cela. La preuve ? Certaines des citations de Lincoln que l’auteur nous propose dans son ouvrage :

« Attendu qu’elles ne puissent vivre ainsi, et tant qu’elles restent jointes, il doit exister une position supérieure et inférieure. Et moi, comme tout autre homme, je soutiens que la race blanche soit en position supérieure ».

Abraham Lincoln

Ou encore…

« Je n’ai pas l’objectif, ni direct ni indirect, d’intervenir au sujet de l’institution de l’esclavage dans les états où elle existe. A mon sens, je n’en ai ni le droit légal ni le désir ».

Abraham Lincoln

Avouez que ça calme de découvrir cela. Personnellement, j’ignorais ce pan de la personnalité de Lincoln et par extension de l’histoire des États-Unis. Manque de culture de ma part ? Certainement, mais il faut également souligner que cette facette de l’ancien président des États-Unis est totalement occultée. En effet, l’auteur nous explique que cette facette de l’histoire n’était pas dans ses manuels. Il a découvert cela plus tard, au collège, dans une école où les élèves étaient majoritairement Noirs. Avant cela, il était dans une école où les blancs étaient majoritaires et c’est une tout autre Histoire qui lui avait été contée…

Ces découvertes de la vérité ont concouru à construire la personnalité de George M. Johnson, à affiner son esprit critique et à poser des questions autour de lui. Il incite à toujours creuser la question quelle qu’elle soit quand on relève une curiosité, une incohérence dans un discours ou autre.

Ce témoignage n’est pas un manuel de survie pour les LGBTQUIAP+, mais plus un guide de cheminement qui mène toujours à la même chose au final : l’amour. L’auteur a traversé quantité d’épreuves (dont il parle assez peu finalement, préférant se concentrer sur le positif et n’étant jamais misérabiliste) : microagressions en quantité, agressions véritables, deuil, humiliations… Mais il réussit à trouver sa voix et à s’imposer avec brio. Il va même devenir président de sa fraternité étudiante : Alpha Phi Alpha.

J’aurais aimé découvrir plus d’épreuves qu’il a traversées car elles ont l’air d’être beaucoup plus nombreuses que ce qu’il mentionne. Mais ce mélange d’Histoire occultée, de remarques désagréables, de mises à l’écart, de recherche de soi quand les cours d’éducation sexuelle ne parlent que d’abstinence pour les hétéros, voilà ce qu’est cet ouvrage.

Ce livre est donc nécessaire, utile et indispensable. Espérons qu’il aidera à faire bouger les lignes encore très rigides de notre société sur l’aspect du genre. C’est également l’occasion de découvrir un pan de la culture africaine-américaine. Je n’ai qu’une envie : en découvrir plus.
Mon seul regret concerne seulement certains passages du livre, où l’auteur aurait pu développer plus amplement. Notamment concernant ses études et sa fraternité (mais il y a le sceau du secret j’imagine…).

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