Tous les ans dans le monde du livre en France, c’est effervescence durant les mois d’août et septembre. La cause ? La fameuse Rentrée Littéraire. Elle concentre la majorité des nouveautés en littérature en un temps très restreint. Ainsi, depuis quelques semaines, c’est la courses chez les libraires pour en lire le plus possible avant leur parution afin de conseiller au mieux les futurs lecteurs.
C’est donc avec joie – et appréhension – que j’ai commencé à lire ma Rentrée Littéraire 2019. Au programme de mes lectures, uniquement des ouvrages qui me tentaient et que j’ai réussi à lire en amont de leur parution. Mais ce n’est pas terminé… il m’en reste encore beaucoup à lire, et cet article n’est que le premier sur le sujet.
A l’instant où j’écris ces lignes, je n’ai lu que 6 nouveautés de la rentrée sur les 524 au total. Soit… 1.14% de la Rentrée Littéraire 2019. Pas de quoi déprimer donc ! (c’est moins bien que les 1.76% de l’année dernière à la même époque… )
Protocole Gouvernante – Guillaume Lavenant – Rivages (parution le 21 août 2019)
Voici un roman tout a fait atypique, son argumentaire est fort et simple : on y suit une jeune femme qui a des instructions très précises. Le roman est en fait toutes les instructions qu’elle va appliquer à la lettre. Tout est ainsi écrit à la deuxième personne du pluriel, ce qui est assez déstabilisant au premier abord, mais pas déplaisant.
Ainsi, nous la suivons dans son étrange mission, qui consiste à s’intégrer en tant que nounou dans un foyer aisé. Peu à peu, les instructions qu’elle doit suivre se font plus bizarres et étranges… mais quel est le but final de cette mission ? Pourquoi doit-elle se rendre indispensable et inspirer à tout prix la confiance dans cette famille ?
Ces questions trouverons leurs réponses – du moins partiellement – mais pas assez pour réellement apprécier la nébuleuse conclusion. Je l’avoue, je n’ai pas saisi pleinement le message final. Qu’a voulu dire l’auteur ? Pourquoi ce final étrange et nullement explicite ?
Je n’ai pas détesté car c’est très accrocheur, mais on reste clairement sur sa faim, et sur sa fin…
F20 – Anna Kozlova – Editions Stéphane Marsan (parution le 11 septembre 2019)
Pourquoi ce titre, que veux donc dire F20 ? En médecine, dans la classification des maladies mentales, il s’agit de la schizophrénie. L’histoire ce déroule en Russie, dans une famille extrêmement dysfonctionnelle : la mère erre tel un fantôme et reste alitée le reste du temps, ne s’occupant jamais de ses deux filles, le père est systématiquement absent, toujours avec une nouvelle amante pendue à son bras… C’est dans cette situation complexe que vivent donc les deux sœurs Youlia et Anioutik. Et il y a quelque temps, Anioutik s’est vue apposer la référence F20 sur son dossier médical : elle est schizo, et ce diagnostic sera pire que la prison, surtout en Russie. Interdit de travailler, mise au ban elle ne pourra pas non plus se marier et tenter d’avoir une vie normale…
C’est dans ce contexte que sa grande sœur Youlia découvre qu’elle a les mêmes symptômes… et décide de n’en rien dire. Elle veut à tout prix avoir une vie normale et bruler la chandelle de la vie par les deux bouts… quitte à parfois se perdre, et à prendre en cachette les médicaments de sa sœur…
F20 est un magnifique et terrible roman qui nous parle de la société russe vue par le prisme des laissés pour compte. C’est très intéressant, mais également fort triste… J’ai beaucoup aimé l’histoire de ces sœurs aux tendances autodestructrices mais qui débordent malgré tout de joie de vivre. C’est aussi beau que fort, aussi terrible que mémorable.
Je ne suis pas sûre que ce roman ai la chance d’être beaucoup médiatisé, mais il vaut le détour si vous aimez découvrir une autre culture et que les livre borderline ne vous font pas peur.
Pour la petite anecdote, c’est la traductrice Raphaëlle Pache (traductrice notamment du monumental La maison dans laquelle) qui a découvert ce texte et l’a proposé à l’éditeur Stéphane Marsan.
Cadavre Exquis – Augustina Bazterrica – Flammarion (parution le 21 août 2019)
J’ai rarement lu un roman aussi génial et immoral que Cadavre Exquis. L’idée de base est simple : dans le futur, on ne peux plus manger d’animaux car ces derniers sont porteurs d’un étrange virus très dangereux. Ils ont donc été décimés par l’homme pour sa survie…
Mais l’être humain semble ne pas pouvoir se passer de viande. Et puis, il y a les lobbys de la charcuterie qui refusent de disparaître… C’est ainsi que l’homme se met à manger de l’homme. Ainsi, le cannibalisme est devenu le summum du bon goût, et cette nouvelle viande si terrible à assumer est nommée par les marketeux « viande spéciale » afin d’oublier sa provenance.
Les humains sont nommés « têtes » pour qu’on oublie ce qu’ils sont. On leur coupe les cordes vocales afin qu’ils ne fassent pas de bruits humains, ce qui les rendraient plus difficiles à tuer…
C’est dans ce futur qu’évolue Marcos, responsable des achats pour un abattoir. Il est en charge de la bonne qualité des « têtes », de leur état de santé, etc. Mais chose étrange dans ce monde, Marcos ne mange pas de viande. Il ne le crie pas haut et fort car c’est mal vu, mais il n’assume pas cette société basée sur l’horreur. Il a de plus en plus de mal à faire bien son travail, tiraillé par sa conscience et par la pression de la société… Et les choses vont aller de pire en pire, quand on lui offre une « tête » vivante pour comme cadeau de compensation d’un fournisseur…
Ce roman est pour le moment mon préféré de la Rentrée Littéraire. L’écriture est nette, sans bavure, chirurgicale. On accepte immédiatement (bien qu’avec horreur) le postulat de départ que nous offre Augustina Bazterrica tant il est bien pensé. Il y a des détails atroces qui ne trompent pas. Elle a pensé à tout dans les moindres détails et nous plonge peu à peu dans les tourments de Marcos… et on adore.
En bref, si vous voulez une histoire qui vous fasse vibrer, qui a du corps, qui vit, qui vous tient en haleine, c’est le roman qu’il vous faut. Ce livre est une tuerie dans tous les sens du terme. Aussi mémorable qu’immoral !
La valse sans fin – Mayumi Inaba – Editions Philippe Picquier (parution le 22 août 2019)
Voici le nouveau roman de la japonaise qui avait écrit La péninsule aux 24 saisons ou encore 20 ans avec mon chat. Cette fois-ci, elle ne nous propose pas un roman apaisant comme à son habitude, mais l’histoire vraie de deux icônes japonaise dans les années70/80. Abe Kaoru est un jazzman reconnu dans les milieux underground, il en est le roi dans son domaine, le free jazz. Mais il aime autant la drogue que son art. Quant à Suzuki Izumi (malheureusement inconnue et non traduite en France) elle est une autrice en pleine ascension quand elle ne croque pas les médicaments comme des bonbons…
Ces deux là vont se rencontrer pour ne plus jamais se quitter, mais ils s’aiment autant qu’ils se font mal.
L’histoire de ces deux personnages qui ont fait l’histoire culturelle du Japon est très intéressante bien que très triste. Cependant, je trouve dommage que l’on ne puisse accéder aux œuvres de Suzuki Izumi en France, ce qui enlève un peu au côté « référence » de la littérature nippone pour nous, occidentaux qui ne la connaissons pas du tout.
J’ai toutefois apprécié de découvrir ce bout de Japon méconnu, et j’ai pu écouter des extraits du travail de Abe Kaoru pour m’immerger dans son univers… j’ai ainsi appris que je n’aimais pas le free jazz (vidéo ci-dessous), mais ça aide à comprendre encore plus ce personnage !