Ayant beaucoup aimé le roman Pépix Rufus le fantôme, j’ai eu la chance d’échanger par mail avec son auteur, Chrysostome Gourio. Histoire d’une création très originale destinée à la jeunesse… mortel !
Glow : Pourriez-vous présenter votre parcours aux lecteurs ?
Chrysostome Gourio : J’ai d’abord fait des études de philosophie dans le but de devenir enseignant, mais ayant raté trois fois l’agrégation, et après avoir quand même enseigné la philosophie dans un lycée agricole pendant une année, j’ai cherché (et trouvé) une autre voie : je suis devenu libraire. Par passion des livres, bien entendu, mais parce que j’ai toujours aimé transmettre, partager, échanger. J’ai exercé ce métier dans le domaine des sciences humaines pendant 10 ans. En parallèle, j’ai découvert la langue des signes française et ça a été une telle rencontre (avec une langue, une culture, des personnes…) que j’ai décidé de changer d’orientation et de devenir interprète français-langue des signes française, profession qui est toujours la mienne dans la journée.
La nuit, j’ai une activité secrète : je raconte des histoires. Raconter a toujours été en lien avec ce plaisir du partage, de l’échange et je suis passé par plusieurs média avant de m’arrêter sur l’écriture, sans doute parce que le livre est un objet magique : une quantité de données extraordinaire, un temps de téléchargement égal à zéro, une possibilité infinie d’imagination… Du coup, je me suis dit que j’allais écrire mes histoires. Je l’ai d’abord fait pour moi, bien entendu, et puis, en 1999, j’ai eu la chance d’être sélectionné lors d’un concours de nouvelles organisé par le ministère de la Culture et les éditions Denoël. Et là, première publication dans un recueil collectif de nouvelles fantastiques et de SF dans feue la collection Présence du Futur. Il faut dire qu’à l’époque j’étais plutôt orienté vers la littérature de l’imaginaire (comme on dit). Mais au hasard d’un roman offert par des amis, j’ai découvert Jean-Bernard Pouy et toute la bande du néo-polar français et j’ai su à ce moment que c’était dans ce courant que je voulais plonger. J’ai donc publié quelques polars pour adultes, mêlant philo et grosse artillerie, et un Poulpe, réalisation d’un rêve d’ado. Enfin, il y a quelques années, j’ai rencontré Marion Brunet, auteur jeunesse de grande qualité (qui vient de publier son premier roman adulte, une merveille), qui m’a poussé à concrétiser un autre rêve : écrire un roman pour enfants. Et ça a été le pied !
Glow : Rufus le Fantôme est un roman aussi drôle que particulier, comment s’est passé votre recherche d’éditeur ?
Chrysostome Gourio : En fait, comme je le disais, j’ai eu la chance de rencontrer Marion qui était publiée chez Sarbacane et c’est tout naturellement qu’elle m’a orienté vers Tibo Bérard, le pétillant éditeur des collections Pépix et X’prim. Je lui ai fait parvenir une première version des aventures de Rufus que j’avais écrite sur la base de la « bible » de la collection Pépix au moment où elle a été créée, mais la collection avait évoluée et mon texte n’était pas assez étoffé. Nous avons donc travaillé sur ce « squelette » pour lui donner plus de chair et de corps, et après quelques aller-retour, nous sommes tombés d’accord sur la version finale, celle qui nous amusait le plus et nous faisait le plus rire.
Glow : Comment cette histoire vous est-elle venue ?
Chrysostome Gourio : J’avais très envie de raconter une histoire de fantôme, mais j’avais surtout envie que le fantôme en soit le personnage principal, pas la créature qui fait peur, le méchant contre lequel il faut se battre. Qu’il soit un héros, un personnage positif. C’était forcément un enfant d’une dizaine d’années avec des préoccupations de son âge, mais comme il était mort, il était en vrai beaucoup plus vieux. Je lui ai imaginé des parents, forcément, puis je me suis demandé où il pouvait bien vivre : maison hantée ou cimetière ? La maison hantée, on y est vite coincé. Le cimetière c’était plus marrant parce que je pouvais imaginer tout une « vie » de quartier avec plein de revenants différents et surtout une vie quotidienne, avec un meilleur copain, une école et un rêve… Devenir la mort ça m’est venu assez naturellement : dans un cimetière, y’a des squelettes et le plus fascinant des squelettes, c’est la Mort. Rufus rêvait donc de devenir la Mort à cause de son costume trop classe. Puis, je me suis demandé comment la Mort pouvait s’occuper toute seule de 7 milliards d’êtres humains ? Ce n’était pas possible. Il fallait donc qu’il y ait une entreprise dont ce soit l’objet. Et on sait que, dans le contexte actuel, les conditions de travail en entreprise ne sont pas toujours roses. Face à ça, une des meilleures armes, c’est la grève ! J’allais donc faire monter à Rufus la première grève de la Mort.
Glow : Comment s’est passé l’association entre votre travail d’écriture et celui de l’illustratrice Eglantine Ceulemans ? Pouviez-vous interagir avec elle sur votre vision des personnages ?
Chrysostome Gourio : C’est Tibo qui nous a mis en relation après qu’on soit tombé d’accord sur la version finale du texte en demandant à Églantine, qui avait déjà travaillé sur le super Carambol’ange de Clémentine Beauvais, si elle était partante. Et dès les premiers dessins, les premières études de personnages sur Rufus et Octave, on a bien vu que ça collait. Et après, ça a été une grande partie de rigolade. Églantine, entre autres qualités, a un sens de l’humour extraordinaire et à chaque fois qu’on recevait une fournée de dessins, je devais m’accrocher à mon bureau pour ne pas tomber de mon fauteuil. J’ai pris des fou-rires grâce à elle… Si tu regardes bien, ses dessins fourmillent de détails. Je crois que le plus dur pour elle, ça a été les mains d’Octave et Rufus : il leur en manque une chacun et jusqu’au bout on les a traquées pour être sûrs qu’ils n’en avaient pas deux. Mais les échanges ont été hyper riches et j’ai vraiment l’impression d’avoir co-construit l’histoire avec elle. A tel point que ses illustrations m’ont poussé à modifier certains points du texte. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on a créé l’univers de Rufus tous les deux.
Glow : Y a-t-il un message en particulier que vous souhaitiez faire passer dans ce roman ?
Chrysostome Gourio : D’abord, comme le sous-titre l’indique, je voulais expliquer ce que c’était que la grève, pourquoi on fait une grève, pourquoi c’est important que ce droit soit reconnu, qu’on ne la fait pas par plaisir, qu’il y a un but derrière tout ça : travailler et vivre mieux… Mais d’autres messages sont apparus au fil de l’écriture, qui ont pris le pas sur celui-là, comme le fait que c’est collectivement qu’on arrive à faire bouger les choses, que quand on a un rêve, il faut aller au bout (mais pas à n’importe quel prix), qu’avoir un copain il n’y a rien de mieux, que la différence fait la richesse…
Glow : Je suis tombée par hasard sur un roman qui s’intitule Le fantôme de Rufus Jones et autres nouvelles, écrit par Chester Himes… y a t-il un lien ? une référence à cette œuvre ? Si oui, que signifie-t-elle pour vous ?
Chrysostome Gourio : J’avoue que j’ai découvert ce titre de Chester Himes après la publication de Rufus… En fait, le prénom de mon personnage est le fruit du hasard. Je cherchais un prénom qui ait une chouette sonorité et il m’a semblé que Rufus le fantôme, ça claquait bien. Alors je l’ai gardé, comme pour Octave, d’ailleurs. Il y a un personnage qui a changé de prénom, c’est Melchior. Au départ, il s’appelait Antoine, parce que je trouvais marrant qu’un ouvrier de la Mort ait un prénom assez classique, voire banal. Mais Tibo était partie prenante d’un prénom qui en impose plus. C’est la Mort, après tout. Du coup on est parti sur autre chose. Mais pour en revenir à Rufus, il y a sans doute plus de référence au Petit Nicolas, donc à Goscinny et Sempé, qu’à Chester Himes. Oui, je sais, on a les références qu’on peut ;).
Glow : Avez-vous d’autres projets destinés à la jeunesse dont vous souhaitez nous parler ?
Chrysostome Gourio : Il y en a au moins un puisque, c’est presque officiel, je vais signer un X’prim chez Sarbacane (Il s’agit du roman La brigade des chasseurs d’ombre, paru le 6 février 2019). Un roman pour les plus grands, fantastique toujours, mais un roman de monstres avec des os qui craquent et des entrailles qui traînent.
Et j’ai deux autres projets jeunesse en cours d’écriture, mais pour l’instant rien de sûr, donc chuuut… Et bien sûr, j’ai très envie de faire vivre une autre aventure à Rufus !
Glow : Vous avez également participé à un recueil de nouvelles écrit en collectif : 16 nuances de premières fois, à quel public s’adresse-t-il ? Que raconte-t-il ?
Chrysostome Gourio : 16 Nuances est un recueil collectif de nouvelles érotiques pour adolescent-e-s à partir de 15 ans on va dire. Des textes de toutes sortes, dans des univers très différents, pour parler de la première fois en amour et dédramatiser ce moment qui peut se révéler compliqué pour plein de raisons différentes. Pour dire aussi que le sexe ne se résume pas à la pornographie, que c’est important mais qu’il ne faut pas non plus en faire une montagne… Des premières fois qui se passent bien, des bof, des qui ne pourraient pas se passer plus mal, des qui seront mieux la prochaine fois, des tendres, des drôles, des bizarres… Pour à peu près tous les goûts. En plus, on y retrouve (presque) le plus beau fleuron des auteur-e-s jeunesse contemporain : Axl Cendres, Gilles Abier, Clémentine Beauvais, Manu Causse, Sandrine Vidal, Rachel Corenblit… Que du bonheur !
Glow : Avez-vous autre chose à ajouter ?
Chrysostome Gourio : Ne me reste qu’à te remercier encore pour ta chouette chronique de Rufus sur ton blog et pour cette interview.
Glow : Je tiens à te présenter mes excuses Chrysostome, j’ai mis plus de 10 mois à publier ton interview sur le blog… Je vais me faire hara-kiri et rejoindre Rufus…