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Chronique : Hell

Hell« En digne héritière de générations de femmes du monde, je passe plus de temps à me laquer les ongles, à me dorer la pilule au Comptoir du soleil, à rester le cul sur un fauteuil et la tête dans les mains d’Alexandre Zouari, à lécher les vitrines de la rue Faubourg-Saint-Honoré, que vous à travailler pour subvenir à vos petits besoins. »

Lolita Pille est une auteur française à la plume totalement désabusée. Elle n’a écrit que trois romans en 10 ans, le dernier – Crépuscule ville – datant de 2010, mais chacune de ses sorties est un petit événement dans la sphère littéraire. Avec Hell, son premier roman, Lolita Pille a mis un grand pavé dans la mare en décrivant la jeunesse dorée parisienne dans sa plus complète perdition… zoom sur une œuvre dérangeante qui fascine énormément.

Violence désabusée d’une fille des beaux quartiers

Hell (ou plutôt Ella) possède tout. Tout ce qui lui plait. Où elle veut et quand elle veut. Elle a d’ailleurs tellement, qu’elle n’a pas la notion d’argent, sauf pour nous dire à nous lecteurs que nous n’arriverons jamais au niveau du dessous de ses chaussures griffées.

A peine 17 printemps, elle connaît déjà tout de la vie et de sa laideur, peut-être même plus que nous, gens du commun. Est-ce pour cela qu’elle a une attitude si désinvolte en ce qui concerne sa santé et son bien-être ? Pour elle, rien ne vaut vraiment la peine que l’on s’y attarde : antipathique, hautaine, détestable… Hell réunit les pires adjectifs possibles.

Alors quand Hell rencontre Andrea, un adolescent aussi malade de la vie qu’elle, c’est le parfait coup de foudre. Mais vivre dans le bonheur n’est pas pour eux : ils ne savent pas faire simple, et vont donc se pourrir mutuellement la vie, et l’âme car ils ne connaissent que ça.

Un récit autodestructeur qui attriste et obsède

Dès les premières lignes, on ne ressent que de la haine pour Hell. Et pourtant, au fil du récit on se rend compte qu’il se peut qu’elle fasse au final preuve de plus d’humanité que bien du monde parmi ceux qui l’entourent. Issue de la jeunesse dorée, elle est libre d’aller où bon lui semble mais ce sent emprisonnée dans son rôle de jeune fille riche. Hell aura tout fait : consommation de drogue, coucheries sans lendemain… mais rien ne la rend heureuse.

Ce récit mérite le détour pour plusieurs raisons : avant tout pour sa narration violente et mémorable. On se sent exclu de cet univers du Tout-Paris mais avons toutefois envie d’en comprendre les arcanes. Ce paradoxe où le lecteur se sent exclu et où pourtant il est initié est intéressant. Une fois la découverte passée, c’est surtout de la tristesse et de la lassitude que nous ressentons pour Hell… allons-nous pouvoir la suivre dans ses nombreux déboires ? Sa romance avec Andrea sera-t-elle une rédemption sur le long terme ?

La seconde raison pour laquelle Hell mérite d’être lu est pour son univers. Lolita Pill a écrit un roman percutant et très autobiographique. Ces lieux dont elle parle (le Queen, le Cabaret et autres boîtes branchées), elle les a connus, cette désillusion aussi. C’est certainement pour cela qu’il y a autant de réalisme et caractère dans ce court récit. …..

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Alors est-ce un coup de cœur ? Oui. Mais pas parce que l’histoire est prenante ou exerce une fascination morbide. C’est avant tout car Hell est emprunte des paradoxes qui la rendent intéressante. Les chemins tortueux sont ses favoris, et on la suit avec crainte et curiosité. Hell est une fille bien plus cultivée que ce qu’elle laisse croire… à vous d’écarter les nombreux préjugés dont elle s’habille. Pour tous ceux qui aiment les récits coup de poing qui misent sur l’hyperréalisme.

Chronique : Kiffe kiffe demain

Kiffe kiffe demain ldp jeunesseUn magnifique roman sur les choses de la vie, à la fois poignant et authentique.

Faïza Guène est une jeune écrivain de nationalité française, née à Bobigny en 1985. Son incroyable succès est dû à son premier roman : Kiffe kiffe demain, paru en 2004, qui raconte à la première personne la vie de Doria, une jeune fille d’origine maghrébine qui vit en banlieue parisienne, désabusée sur son avenir.

Vendu à plus de 400 000 exemplaires et traduit dans plus de 25 langues, cet ouvrage coup de poing criant de réalisme a connu un succès amplement mérité. Par la suite, Faïza Guène a écrit deux autres romans : Du rêve pour les oufs (2006), Les gens du balto (2008). Et non contente d’être un écrivain reconnu, elle est également réalisatrice de nombreux courts-métrages, dont certains ayant remportés des prix reconnus.

La « banlieue » revue et corrigée

Doria a quinze ans, elle vit avec sa mère dans la banlieue parisienne. Son père les a quittés il y a quelques années pour retourner « au pays » et se marier avec une femme beaucoup plus jeune que sa mère. Doria n’a pas de problèmes à proprement parler, c’est juste qu’elle n’est pas spécialement heureuse dans la vie.

Kiffe kiffe demain ldpLes amis d’enfance, la famille, tout cela se mélange pour donner un mélange détonnant d’une joyeuse tristesse. La vie de Doria suit son cours, et nous la découvrons dans toute son étonnante diversité. La culture de la banlieue est mise au jour sous un angle humoristique sans être moqueur, un véritable délice ! : « La responsable de la grève au Formule 1, c’est Fatouma Konaré, une collègue avec qui maman s’entend bien. Elle m’a raconté qu’au début, elle croyait que « Fatoumakonaré » c’était juste son prénom et qu’elle trouvait ça long pour un prénom… ».

Mais malgré l’humour constant du roman, Faïza Guène soulève également les nombreuses injustices qui font qu’être une fille dans une cité (mais aussi ailleurs, par extension) peut être un handicap si l’on ne naît pas avec des parents complaisants. Doria parle ainsi d’une de ses voisines, enfermée chez elle, sans aucune liberté : « Quand Samra était enfermée chez elle, dans sa cage en béton, personne n’en parlait, comme si les gens trouvaaient ça normal. Et maintenant qu’elle a réussi à se libérer de son dictateur de frère et de son tortionnaire de père, les gens l’accusent. J’y comprends rien. ».

Le point fort de Kiffe kiffe demain réside dans son écriture : très proche du parlé, remplie d’humour, de jeux de mots et de langage familier, impossible de ne pas sourire franchement aux tournures de phrases offertes.

Pour terminer je vous dirais qu’il faut lire Kiffe kiffe demain pour de nombreuses raisons. Tout d’abord sa langue piquante et drôle. Ensuite sa facilité d’accès, bien loin de la « littérature » comme certains aiment à l’appeler de façon élitiste, ce roman fait pour moi partie des indispensables. Enfin, culturellement parlant, ce récit ouvre les yeux sur un pan de notre quotidien actuel, que l’on vive en cité ou non, certaines problématiques sont universelles. Un magnifique récit positif et rempli de beaux élans d’enthousiasme. Dès 13 ans environ.