
Avec « seulement » 521 romans de la rentrée littéraire à paraître cette année contre 511 en 2020 et 524 en 2019, la période n’est toujours pas à l’économie du nombre de publications. Et comme toujours, je pense que c’est dommage de sortir autant d’ouvrages sur une période aussi resserrée, les gros éditeurs vont continuer à sortir quantité de titres qui vont parfois noyer la seule ou les rares publications des petits éditeurs.
Malgré ces regrets que j’ai depuis des années concernant la surproduction, je suis toujours ravie de voir l’effervescence que créé la rentrée littéraire. La sorte de course que c’est pour nous libraires de lire le plus de livres possibles avant leur parution. Dénicher la perle rare que l’on arrivera à porter jusqu’aux fêtes de Noël et parfois au-delà… Trouver LE livre qui va pour nous être un plaisir de partager avec les lecteurs…
C’est donc avec le même plaisir et le même enthousiasme que j’ai commencé à déblayer les piles de SP de la librairie (SP : Service de Presse, ouvrages reçus avant leur parution par les journalistes et les libraires pour pouvoir en parler en amont). J’ai fait mon petit choix en sélectionnant une dizaine d’ouvrages. Certains sont déjà des blockbusters annoncés : Amélie Nothomb, Kazuo Ishiguro…. Et d’autres n’attendent qu’une seule chose : être repérés par le libraire qui aura la curiosité de l’ouvrir et qui peut-être l’aimera.
Jewish Cock – Katharina Volckmer – Grasset, collection En lettres d’ancre

Dès que l’on pose les yeux sur cet ouvrage on ne peut être qu’intrigué : couleur d’un rose flashy, un titre accrocheur, une typographie qui ressort à l’extrême et des citations de chroniques dithyrambiques de Ian McEwan et du New York Times. Tout cela conjugué, ça attire forcément, mais alors que vaut Jewish Cock ?
A mon humble avis, pas le tapage espéré par l’éditeur. L’ouvrage se veut subversif, dérangeant et atypique. On peut effectivement lui laisser la troisième caractéristique… Pour les deux précédentes, je ne trouve pas…
Quelle est l’histoire ? Celle d’une femme qui va monologuer pendant presque deux cent pages auprès de son gynécologue. Qu’est-ce que ce dernier est en train de faire pendant tout ce temps auprès de sa patiente ? C’est une partie de la surprise du roman même si cela n’en est pas la chute…
L’ouvrage est au final assez fourre-tout. Il dénonce à la fois le sexisme, les inégalités entre hommes et femmes dans tous les aspects de leur vie, interroge la société dans son ensemble… Bref, il enfonce des portes ouvertes avec maladresse. On découvre au bout de quelques pages que la narratrice a menacé un collègue avec une agraffeuse pour une mystérieuse raison. Elle doit ainsi aller régulièrement chez un psychologue afin d’exorciser ses démons, mais décide plutôt de lui mentir. En effet, elle fait croire à ce dernier qu’elle a des fantasmes érotiques avec Hitler et va même très loin dans ses affabulations…
Pas de problème pour le côté provocateur du roman, mais pour moi il choque pour choquer et à cause de cela même ça ne fonctionne pas.
Vous l’aurez compris, je suis passée totalement à côté de Jewish Cock (et pourquoi avoir traduit le titre en anglais par un autre titre en anglais ? Je n’aime pas quand les éditeurs font cela…). C’est un roman parfaitement marketé et il pourra faire sensation chez certain.es lecteurs et lectrices, mais très peu pour moi…
Le format du roman (le monologue) et le sujet de la judéité en fait quoi qu’il en soit un hommage certain à Portnoy et son complexe de Philip Roth.


Les dents de lait – Helene Bukowski – Gallmeister
Quand on me dit roman traduit de l’allemand, ambiance post-apo en huis-clos dans la forêt et le tout publié par les éditions Gallmeister, j’achète immédiatement. Et pourtant… Les dents de lait est l’un des romans de la rentrée qui m’a le plus déçue. Nous sommes dans une forêt où vivent une femme et sa fille, un jour l’une d’elle découvre une petite fille rousse perdue dans la forêt. Sa découverte signe le début de la fin pour les deux femmes.
En effet, la communauté voit d’un très mauvais oeil l’arrivée de l’enfant rousse. A tel point que dès qu’il y a un malheur qui tombe sur la communauté, elle est immédiatement accusée. C’est ainsi que commence l’ostracisation du trio… Une chose est certaine, on sent que ça va mal finir.
Pour ceux et celles qui aiment et ont lu pas mal de romans post-apo, je pense que Les dents de lait ne vous surprendra ni par son fond, ni par sa forme. En effet, l’ouvrage ne renouvelle pas le genre, n’a pas de style extraordinaire ni d’ambiance particulière qui pourrait le faire sortir du lot. Les chapitres sont courts, c’est bien le seul avantage. Concernant les personnages, il n’y en a pas un seul qui a su me toucher soit par son histoire soit par sa personnalité… Rien n’a réussi à m’atteindre dans ce roman.
Je n’ai pas lu Le mur invisible de Marlen Haushofer (Babel), mais je me demande si Les dents de lait ne s’en inspire par quelque peu ? L’ouvrage est traduit de l’allemand également, il y est question de huis clos dans la forêt et d’une femme seule… avouez que ça ressemble un peu tout de même. Peut-être est-ce un hommage à l’un des premiers romans écoféministes ?
Quoi qu’il en soit, ce roman est l’une de mes plus grosses déceptions de cette rentrée littéraire, d’autant plus que c’est publié chez Gallmeister, un éditeur que j’affectionne. Je suis donc déçue d’être déçue…
Premier Sang – Amélie Nothomb – Albin Michel

Comme tous les ans depuis plus de vingt ans Amélie Nothomb est de retour à la rentrée littéraire. Son nouveau roman chaque année, c’est un peu comme le beaujolais nouveau : est-il bon cette année ? Que vaut-il ?
Avec Premier Sang, l’autrice nous offre un roman qui nous conte l’histoire de son père ambassadeur au tout début de sa carrière. Tout commence au Congo lors d’une prise d’otages, nous sommes en 1964. Puis au chapitre suivant nous basculons dans l’enfance de Patrick Nothomb, comment son cheminement de vie l’a conduit à cette prise d’otage au Congo. L’histoire de la famille Nothom et tout particulièrement de son père (il a écrit un témoignage sur son vécu durant la prise d’otages) et de son grand-père (homme de lettres) nous est ainsi contée.
J’ai trouvé intéressant d’en savoir plus sur cette famille puissamment liée à la littérature depuis des générations, cependant cela n’a pas suffit à me passionner. Cela fait des années que je lis les romans d’Amélie Nothomb et je n’ai pas eu de coup de cœur depuis bien longtemps… Je suis restée attachée à ses premiers ouvrages : Antéchrista, Stupeur et tremblements ou encore Les combustibles. Depuis, j’avoue ne pas accrocher chaque année à son nouveau roman, mais je persiste tout de même.
Premier sang est donc un roman qui nous fait découvrir un pan de l’histoire du Congo intéressant bien que très brièvement traité. L’autre intérêt de l’ouvrage réside dans la découverte de la famille Nothomb, mais sans réel coup de cœur.


Son empire – Claire Castillon – Gallimard
Ce roman aurait pu s’intituler Son emprise au lieu de Son empire, c’est en tout cas ce que je lis à chaque fois que mes yeux se posent sur la couverture.
Voici l’histoire terriblement angoissante d’une manipulation, ou plutôt comme le dit la jeune narratrice de sept ans : d’un kidnapping.
Au fil des semaines puis des mois et des années l’enfant nous conte comment sa mère est à la merci d’un homme manipulateur. Il n’est même pas beau parleur, mais il a sur elle un effet dévastateur. A peine souri-t-il que c’est toute la maisonnée qui plonge dans la bonheur… Mais quand il s’agit d’un de ses mauvais jours, gare au retour de bâton et aux remarques acerbes, désagréables. Et ça va être de pire en pire… La mère de la jeune fille n’arrive pas à se détacher de cet homme, même quand il lui fait les pires crasses possibles.
Cette histoire a des accents de vérité terrible. Je ne sais si l’autrice a été concernée de près ou de loin par une personne toxique sans son entourage, mais elle explique avec talent tous les mécanismes mis en place par le manipulateur. Le regard de cette jeune fille plus lucide que sa maman sur la situation est aussi conscient que désabusé. Elle voit sa mère tenter de sortir la tête de l’eau, mais elle est constamment tirée vers le fond par cet homme…
J’ai apprécié cette lecture sans en faire toutefois un coup de cœur. Ca se lit extrêmement vite, c’est intéressant, mais peut-être pas point de mettre presque 17 euros dans ce roman. Je suis partisane d’une littérature plus abordable sur le plan financier. Il aurait pu totalement être dans un format semi-poche par exemple. Par contre, si vous voulez découvrir un autre roman sur le phénomène terrible de l’emprise, la même autrice en a fait un autre absolument excellent et terrible : Les Longueurs, nécessaire, indispensable et qui pourrait fort bien sortir en Folio à destination des adultes.


Seule en sa demeure – Cécile Coulon – L’iconoclaste
C’est le premier roman de Cécile Coulon que je lis, et même si j’ai passé un agréable moment de lecture, je m’attendais à mieux. J’ai trouvé l’ambiance assez réussie mais le style lourd. J’ai eu l’impression que l’autrice c’était avant tout focalisée sur son écriture plus que sur son histoire. Ce qui à mes yeux a donné des phrases assez pesantes, ampoulées et parfois stéréotypées. Malgré tout cela, on a envie de connaître les secrets du domaine Marchère. La jeune Aimée vient d’épouser le riche propriétaire terrien du domaine et découvre la vie maritale, ses devoirs, ses obligations et le manque de liberté l’oppressent peu à peu. Et elle sent que tout n’est pas dit dans cette demeure lourde de secrets qui a abrité quelque temps la première épouse de son mari actuel…
Peu à peu, les secrets s’éventent, mais ils ne sont pas assez surprenants pour accaparer le lecteur. C’est dommage car Cécile Coulon a su instiller une ambiance assez réussie malgré quelques passages un peu longs.
L’autrice avait remporté le prestigieux prix littéraire du Monde pour son roman Une bête au paradis et je pense que je vais persévérer dans la découverte de son oeuvre. Je pense simplement que Seule en sa demeure n’est peut-être pas son meilleur ouvrage pour la découvrir…

Quand s’illumine le prunier sauvage – Shokoofeh Azar – Charleston
Si vous avez envie de découvrir un beau texte empli de métaphores oniriques et de légendes, cet ouvrage est pour vous. On ne peut s’empêcher de penser aux Contes des Mille et Une Nuits en découvrant les innombrables histoires dans l’histoire… C’est à la fois la grande qualité (magnifique, poétique, sublime) et le défaut de ce roman. J’aime que ça fourmille, mais ici, il y a trop d’histoires imbriquées et on s’y perd trop facilement.
Cependant, l’écriture et l’univers du roman m’ont beaucoup plus malgré un manque de fluidité selon moi. Je pense donc que c’est un beau texte qui dénonce les horreurs de la révolution islamique au travers de magnifiques métaphores. Charge au lecteur d’apprivoiser ses codes et nombreuses histoires gigognes…
Le Chien – Akiz – Flammarion

Le Chien est à la cuisine ce que Jean-Baptiste Grenouille est au monde de la parfumerie… Et même si cette nouveauté ne surpassera pas ce classique contemporain allemand, on est facilement pris par l’histoire.
L’histoire est celle d’un homme et de son ascension fulgurante dans l’élite mondiale de la gastronomie. Lui qui n’y connaît rien, absolument rien aux années de labeur nécessaires pour parvenir au meilleur de la gastronomie va grimper les échelons en quelques coups de génie.
J’ai passé un excellent moment de lecture à découvrir ce personnage atypique, à la limite du sauvage. Socialement, le Chien totalement inadapté. Mais dès qu’on touche à la cuisine, il devient un dieu. Il ne connaît même pas le nom ou l’usage des ingrédients mais il s’en fiche, car il réussit à les magnifier avec simplicité et c’est tout ce qui compte.
On comprend donc aisément pourquoi le comparatif avec Suskind est fait d’autant que Akiz est Allemand tout comme Suskind, et même si il n’est pas usurpé, Le Parfum restera au top de mes romans dans mon cœur (il m’a marqué pour la vie). Le Chien est quoi qu’il en soit un roman qui sait captiver ses lecteurs de bout en bout ! Il fait partie de mes romans favoris de la rentrée littéraire.


Le temps de l’indulgence – Vijay Madhuri – Faubourg-Marigny
Si vous ne connaissez pas encore les toutes jeunes éditions Faubourg Marigny, Le temps de l’indulgence sera l’occasion de les découvrir. Leur catalogue est encore petit et se développe à un rythme à échelle humaine… et ça fait du bien !
Ici, nous allons découvrir le portrait d’une jeune indienne de Bengalore qui suite au décès de sa mère va faire un long voyage qui va la mener dans la région sensible du Cachemire. A la fois récit familial, quête de soi et portrait d’une Inde à géopolitique complexe, Le temps de l’indulgence est un beau roman.
Ses personnages y sont peu nombreux mais creusés avec un tel soin qu’ils sont réels et prennent vie en quelques pages. C’est le cas de l’héroïne et narratrice, mais également de sa mère, dont on découvre les nombreuses facettes au fil des chapitres. On alterne entre passé et présent, ce qui nous permet peu à peu de découvrir les nombreuses parts d’ombre de cette famille.
Mais ce roman est avant tout une fuite en avant, l’histoire d’une émancipation, d’un passage à l’âge adulte. Et cela ne va pas sans de nombreuses erreurs…. Il n’y a pas de grandes révélation ou un suspense incroyable dans cet ouvrage. Le temps de l’indulgence, c’est avant tout une ambiance, une galerie de portraits plus vrais que nature et des personnalités très travaillées. C’est donc un beau moment de lecture qui peu à peu révèle ses secrets. L’écriture y est lente, mais jamais on ne s’ennuie, et c’est peut-être là que réside l’âme de ce roman spécial et empli d’humanité.
L’ouvrage a été nommé « Meilleur livre de l’année » par The Washington Post.

Le rapport chinois – Pierre Darkanian – Anne Carrière
Si vous avez envie d’un roman détonnant qui saura vous surprendre tout du long, Le rapport chinois est pour vous. Il s’agit d’un premier roman, mais il est la preuve que le roman français peut sortir de ses problématiques nombrilistes. Comparé par l’éditeur à La conjuration des imbéciles, l’ouvrage de Pierre Darkanian est aussi génial qu’inclassable.
J’en ai fait une chronique complète dans le lien ci-joint, je vous propose de la découvrir. Le rapport chinois est un de mes romans préférés de cette rentrée ! Il a d’ailleurs déjà remporté le Prix Transfuge du Premier Roman.