Roman phénomène aux Etats-Unis, Âpre Cœur de Jenny Zhang a débarqué en France aux éditions Picquier. Plébiscité par la critique – française et étrangère – il est également optionné pour une adaptation cinématographique. A la découverte d’un roman atypique qui mêle humour noir, vécu romancé et vérité sociale sur les immigrés chinois installés au Etats-Unis.
Jenny Zhang est une essayiste, poétesse et autrice américaine d’origine chinoise. Elle est née à Shanghai et vit désormais à Brooklyn. Fille d’immigrés chinois, elle base l’essentiel de son oeuvre sur cette double appartenance à deux cultures très différentes. Âpre Cœur en est l’illustration parfaite.
Entre le roman et le recueil de nouvelles qui se recoupent pour former un ensemble cohérent, Âpre Coeur est un ouvrage qui nous fait découvrir une facette méconnue des Etats-Unis au travers d’une population qui ne s’exprime que rarement.
L’ouvrage va être adapté prochainement au cinéma.
Un recueil de nouvelles aux points communs diffus mais bien présents
Pas évident d’appréhender au début la lecture d’Âpre Coeur, à la fois roman et recueil de nouvelles assez longues. Mais ces dernières elles sont toutes liées entre elles, même si le lien qui les unit est extrêmement ténu parfois.
Personnellement, j’ai trouvé plus facile d’approcher l’ouvrage en me disant que je lisait un recueil d’histoires plutôt que comme un roman linéaire. Je ne me suis ainsi pas sentie obligée de toujours faire le point pour retrouver le contexte dans lequel on se trouve (quelle famille, que lien les unis, etc.).
Quoi qu’il en soit, chacune de ces histoire nous conte la difficulté et le bonheur croisés d’être enfant d’immigré chinois aux Etats-Unis. La misère que ça implique pour voir peut-être ses enfants réussir…
Des tranches de vies prises sur le vif
Comme une photographie de l’instant, les nouvelles sont très vivantes, on y croit immédiatement. Et pour cause, Jenny Zhang s’est nécessairement inspirée de son vécu et de son histoire familiale pour créer Âpre Coeur.
Voici la liste des nouvelles contenues dans l’ouvrage : Crispina, on t’aime, La vide le vide le vide, Nos mères avant eux, Mes jours et mes nuits de terreur, Pourquoi jetaient-t-ils des briques ?, Tu es tombée de la rivière et je t’ai sauvée !.
Parmi les histoires qui m’ont le plus marquée, la toute première m’a particulièrement touchée. Tous les sacrifices innombrables qu’ont fait ces parents pour que leur fille ait un avenir meilleur. La misère, les déménagement de trous pourris et insalubres en appartements délabrés, les collocations avec d’autres immigrés chinois fraîchement débarqués… La décision difficile de leurs parents pour offrir le meilleur à Christina, une fille sensible, bizarre et attachante. Elle souffre de démangeaisons atroces qui la font se gratter jusqu’au sang la nuit. Ils sont si pauvres qu’ils volent la poudre aromatisée des nouilles dans les magasins pour accommoder leurs restes…
« Après ma pneumonie, j’avais beaucoup de mal à ne pas régurgiter mes aliments, et parfois, mon papa ramassait à la cuillère ce que j’avais vomi et le mettait dans sa bouche pour ne pas gaspiller la moindre parcelle de nourriture […]« .
Autre nouvelle touchante et triste à la fois : Mes jours et mes nuits de terreur. L’histoire d’une jeune fille, Mandee, dont les parents ont tout le temps peur pour elle. Systématiquement. Comme elle ne ferme plus les yeux très fort quand elle a un vaccin, ses parent sont persuadés qu’elle se drogue… C’est à la fois drôle et tragique… Et quand on découvre que le prénom de cette jeune fille a été inspiré aux parents par un magasin de vêtements quand ils venaient d’arriver aux U.S.A., on ne peux s’empêcher de sourire de tristesse… Leur histoire concentre pour moi toute l’abnégation et la force de caractère de ces familles qui ont tout fait pour rester aux Etats-Unis, mais également le cruel manque de connaissances qui les ont empêché de s’intégrer pleinement malgré leurs efforts maladroits…
» Tu devrais être dans la classe des surdoués. Tu devrais être avec les meilleurs. Ne pas échouer, ce n’est pas un exploit.
– Je suis désolée
– Ne sois pas désolée, sois meilleure «
Certaines nouvelles oscillent entre la Chine d’il y a 20 ans et celle d’aujourd’hui. On comprend un peu mieux les raisons pour lesquelles ils sont partis en Amérique (dénonciations, climat de suspicion), pourquoi d’autres repartent malgré tout…
On comprend également ce besoin viscéral de réussite pour leur enfants (on surnomme ces femmes qui poussent leur enfants à tout faire dans l’excellence jusqu’à l’excès des mères tigre, elles souhaitent les élever à la dure pour qu’ils aient le meilleur avenir possible. On peut citer comme référence aux Etats-Unis l’ouvrage de Amy Chua, elle même enfant d’immigrés chinois aux États-Unis : L’hymne de bataille de la mère tigre, gros succès Outre-Atlantique à sa sortie).
Assez inclassable mais malgré tout poignant, Âpre Coeur est un roman que l’on oublie pas car il contient quelques scènes mémorables. Mais c’est surtout l’humanité de ses personnages ainsi que leur passé et leur vie difficile que l’on retient…
L’ouvrage est en cour d’adaptation au cinéma, je me demande bien ce que cela pourra donner sur grand écran, car c’est un ouvrage fort difficile à mettre en image, ne serait-ce que pour sa narration tranchée, vive et parfois décousue.
Je conclurais avec une belle punchline que l’on peut trouver dans la nouvelle Mes jours et mes nuits de terreur :
« En cours d’algèbre, j’avais entendu dire qu’elle « bouffait de la chatte comme si la fin du monde était pour demain » «
ou encore dans Pourquoi jetaient-ils des briques ?